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ŒDIPE.

Quelque indigne soupçon qu’il ait conçu de moi,
Je ne sais point encor comme on manque de foi.

Jocaste.

Seigneur, au nom des dieux, au nom de cette flamme
Dont la triste Jocaste avait touché votre âme,
Si d’une si parfaite et si tendre amitié
Vous conservez encore un reste de pitié,
Enfin, s’il vous souvient que, promis l’un à l’autre,
Autrefois mon bonheur a dépendu du vôtre,
Daignez sauver des jours de gloire environnés,
Des jours à qui les miens ont été destinés.

Philoctète.

Je vous les consacrai ; je veux que leur carrière
De vous, de vos vertus, soit digne tout entière.
J’ai vécu loin de vous ; mais mon sort est trop beau
Si j’emporte en mourant votre estime au tombeau.
Qui sait même, qui sait si d’un regard propice
Le ciel ne verra point ce sanglant sacrifice ?
Qui sait si sa clémence, au sein de vos états,
Pour m’immoler à vous n’a point conduit mes pas ?
Peut-être il me devait cette grâce infinie
De conserver vos jours aux dépens de ma vie ;
Peut-être d’un sang pur il peut se contenter,
Et le mien vaut du moins qu’il daigne l’accepter.


Scène III.

ŒDIPE, JOCASTE, PHILOCTÈTE, ÉGINE, ARASPE, suite.
Œdipe.

Prince, ne craignez point l’impétueux caprice
D’un peuple dont la voix presse votre supplice :
J’ai calmé son tumulte, et même contre lui
Je vous viens, s’il le faut, présenter mon appui.
On vous a soupçonné ; le peuple a dû le faire.
Moi qui ne juge point ainsi que le vulgaire,
Je voudrais que, perçant un nuage odieux,
Déjà votre innocence éclatât à leurs yeux.
Mon esprit incertain, que rien n’a pu résoudre,
N’ose vous condamner, mais ne peut vous absoudre.