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LIVRES.

Les chrétiens disent à la vérité que leur Écriture a été inspirée par le Saint-Esprit ; mais, outre que les cardinaux Cajetan[1] et Bellarmin[2] avouent qu’il s’y est glissé quelques fautes par la négligence ou l’ignorance des libraires et des rabbins qui y ont ajouté les points, elle est regardée comme un livre dangereux pour le plus grand nombre des fidèles. C’est ce qui est exprimé par la cinquième règle de l’Index, ou de la Congrégation de l’indice, qui est chargée à Rome d’examiner les livres qui doivent être défendus. La voici[3] :

« Étant évident par l’expérience que si la Bible traduite en langue vulgaire était permise indifféremment à tout le monde, la témérité des hommes serait cause qu’il en arriverait plus de mal que de bien, nous voulons que l’on s’en rapporte au jugement de l’évêque ou de l’inquisiteur, qui, sur l’avis du curé ou du confesseur, pourront accorder la permission de lire la Bible, traduite par des auteurs catholiques en langue vulgaire, à ceux à qui ils jugeront que cette lecture n’apportera aucun dommage. Il faudra qu’ils aient cette permission par écrit ; on ne les absoudra point qu’auparavant ils n’aient remis leur Bible entre les mains de l’ordinaire ; et quant aux libraires qui vendront des Bibles en langue vulgaire à ceux qui n’ont pas cette permission par écrit, ou en quelque autre manière la leur auront mise entre les mains, ils perdront le prix de leurs livres, que l’évêque emploiera à des choses pieuses, et seront punis d’autres peines arbitraires : les réguliers ne pourront aussi lire ni acheter ces livres sans avoir eu la permission de leurs supérieurs. »

Le cardinal du Perron prétendait aussi que[4] l’Écriture était un couteau à deux tranchants dans la main des simples, qui pourrait les percer ; que, pour éviter cela, il valait mieux que le simple peuple l’ouît de la bouche de l’Église avec les solutions et les interprétations des passages qui semblent aux sens être pleins d’absurdités et de contradictions, que de les lire par soi sans l’aide d’aucune solution ni interprétation. Il faisait ensuite une longue énumération de ces absurdités, en termes si peu ménagés que le ministre Jurieu ne craignit point de dire qu’il ne se souvenait pas d’avoir jamais rien lu de si effroyable ni de si scandaleux dans un auteur chrétien.

Jurieu, qui invectivait si vivement contre le cardinal du Perron,

  1. Commentaire sur l’Ancien Testament. (Note de Voltaire.)
  2. Livre II, chapitre ii, de la Parole de Dieu. (Id.)
  3. Starti, quatrième partie, page 5. (Id.)
  4. Esprit de M. Arnauld, tome II, page 119. (Id.)