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LIBERTÉ.
B.

Rien n’est plus véritable.

A.

En quoi consiste donc votre liberté, si ce n’est dans le pouvoir que votre individu a exercé de faire ce que votre volonté exigeait d’une nécessité absolue ?

B.

Vous m’embarrassez ; la liberté n’est donc autre chose que le pouvoir de faire ce que je veux ?

A.

Réfléchissez-y, et voyez si la liberté peut être entendue autrement.

B.

En ce cas, mon chien de chasse est aussi libre que moi ; il a nécessairement la volonté de courir quand il voit un lièvre, et le pouvoir de courir s’il n’a pas mal aux jambes. Je n’ai donc rien au-dessus de mon chien : vous me réduisez à l’état des bêtes.

A.

Voilà les pauvres sophismes des pauvres sophistes qui vous ont instruit. Vous voilà bien malade d’être libre comme votre chien. Ne mangez-vous pas, ne dormez-vous pas, ne propagez-vous pas comme lui, à l’attitude près ? Voudriez-vous avoir l’odorat autrement que par le nez ? Pourquoi voudriez-vous avoir la liberté autrement que votre chien ?

B.

Mais j’ai une âme qui raisonne beaucoup, et mon chien ne raisonne guère. Il n’a presque que des idées simples, et moi, j’ai mille idées métaphysiques.

A.

Eh bien, vous êtes mille fois plus libre que lui : c’est-à-dire vous avez mille fois plus de pouvoir de penser que lui ; mais vous n’êtes pas libre autrement que lui.

B.

Quoi ! je ne suis pas libre de vouloir ce que je veux ?

A.

Qu’entendez-vous par là ?

B.

J’entends ce que tout le monde entend. Ne dit-on pas tous les jours : Les volontés sont libres ?