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LÈPRE ET VÉROLE.

Il est très-certain que la petite vérole ne fut connue des Romains qu’au vie siècle, que la vérole américaine ne fut apportée en Europe qu’à la fin du xve, et que la lèpre est aussi étrangère à ces deux maladies que la paralysie l’est à la danse de Saint-Vit ou de Saint-Guy.

La lèpre était une gale d’une espèce horrible. Les Juifs en furent attaqués plus qu’aucun peuple des pays chauds, parce qu’ils n’avaient ni linge ni bains domestiques. Ce peuple était si malpropre que ses législateurs furent obligés de lui faire une loi de se laver les mains.

Tout ce que nous gagnâmes à la fin de nos croisades, ce fut cette gale ; et de tout ce que nous avions pris, elle fut la seule chose qui nous resta. Il fallut bâtir partout des léproseries, pour renfermer ces malheureux attaqués d’une gale pestilentielle et incurable.

La lèpre, ainsi que le fanatisme et l’usure, avait été le caractère distinctif des Juifs. Ces malheureux n’ayant point de médecins, les prêtres se mirent en possession de gouverner la lèpre, et d’en faire un point de religion. C’est ce qui a fait dire à quelques téméraires que les Juifs étaient de véritables sauvages, dirigés par leurs jongleurs. Leurs prêtres, à la vérité, ne guérissaient pas la lèpre, mais ils séparaient les galeux de la société, et par là ils acquéraient un pouvoir prodigieux. Tout homme atteint de ce mal était emprisonné comme un voleur ; de sorte qu’une femme qui voulait se défaire de son mari n’avait qu’à gagner un prêtre ; le mari était enfermé : c’était une espèce de lettre de cachet de ce temps-là. Les Juifs et ceux qui les gouvernaient étaient si ignorants qu’ils prirent les teignes qui rongent les habits, et les moisissures des murailles, pour une lèpre. Ils imaginèrent donc la lèpre des maisons et des habits ; de sorte que le peuple, ses guenilles et ses cabanes, tout fut sous la verge sacerdotale.

Une preuve qu’au temps de la découverte de la vérole il n’y avait nul rapport entre ce mal et la lèpre, c’est que le peu qui restait encore de lépreux à la fin du xve siècle ne voulut faire aucune sorte de comparaison avec les véroles.

On mit d’abord quelques véroles dans les hôpitaux des lépreux ; mais ceux-ci les reçurent avec indignation. Ils présentèrent requête pour en être séparés ; comme des gens en prison pour dettes, ou pour des affaires d’honneur, demandant à n’être pas confondus avec la canaille des criminels.

Nous avons déjà dit[1] que le parlement de Paris rendit, le

  1. Dans le chapitre xi de l’Homme aux quarante écus.