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JUIFS.

d’y prendre les usages de leurs maîtres ; elles enrichirent leur langue du mélange de la langue chaldéenne. Les Juifs dès lors ne connurent plus que l’alphabet et les caractères chaldéens ; ils oublièrent même le dialecte hébraïque pour la langue chaldéenne : cela est incontestable. L’historien Josèphe dit qu’il a d’abord écrit en chaldéen, qui est la langue de son pays. Il paraît que les Juifs apprirent peu de chose de la science des mages : ils s’adonnèrent aux métiers de courtiers, de changeurs, et de fripiers ; par là ils se rendirent nécessaires, comme ils le sont encore, et ils s’enrichirent.

Leurs gains les mirent en état d’obtenir, sous Cyrus, la liberté de rebâtir Jérusalem ; mais quand il fallut retourner dans leur patrie, ceux qui s’étaient enrichis à Babylone ne voulurent point quitter un si beau pays pour les montagnes de la Célé-Syrie, ni les bords fertiles de l’Euphrate et du Tigre pour le torrent de Cédron. Il n’y eut que la plus vile partie de la nation qui revint avec Zorobabel. Les Juifs de Babylone contribuèrent seulement de leurs aumônes pour rebâtir la ville et le temple ; encore la collecte fut-elle médiocre, et Esdras rapporte qu’on ne put ramasser que soixante et dix mille écus pour relever ce temple, qui devait être le temple de l’univers.

Les Juifs restèrent toujours sujets des Perses ; ils le furent de même d’Alexandre, et lorsque ce grand homme, le plus excusable des conquérants, eut commencé, dans les premières années de ses victoires, à élever Alexandrie et à la rendre le centre du commerce du monde, les Juifs y allèrent en foule exercer leur métier de courtiers, et leurs rabbins y apprirent enfin quelque chose des sciences des Grecs. La langue grecque devint absolument nécessaire à tous les Juifs commerçants.

Après la mort d’Alexandre, ce peuple demeura soumis aux rois de Syrie dans Jérusalem, et aux rois d’Égypte dans Alexandrie ; et lorsque ces rois se faisaient la guerre, ce peuple subissait toujours le sort des sujets, et appartenait aux vainqueurs.

Depuis leur captivité à Babylone, Jérusalem n’eut plus de gouverneurs particuliers qui prissent le nom de rois. Les pontifes eurent l’administration intérieure, et ces pontifes étaient nommés par leurs maîtres : ils achetaient quelquefois très-cher cette dignité, comme le patriarche grec de Constantinople achète la sienne.

Sous Antiochus Épiphane ils se révoltèrent ; la ville fut encore une fois pillée, et les murs démolis.

Après une suite de pareils désastres, ils obtiennent enfin pour la première fois, environ cent cinquante ans avant l’ère vulgaire,