Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
495
JAPON.

l’Irlande et les Orcades ensemble ; si l’empereur du Japon est plus puissant que l’empereur d’Allemagne, et si les bonzes japonais sont plus riches que les moines espagnols.

J’avouerai même sans hésiter que, tout relégués que nous sommes aux bornes de l’Occident, nous avons plus de génie qu’eux, tout favorisés qu’ils sont du soleil levant. Nos tragédies et nos comédies passent pour être meilleures ; nous avons poussé plus loin l’astronomie, les mathématiques, la peinture, la sculpture, et la musique. De plus, ils n’ont rien qui approche de nos vins de Bourgogne et de Champagne.

Mais pourquoi avons-nous si longtemps sollicité la permission d’aller chez eux, et que jamais aucun Japonais n’a souhaité seulement faire un voyage chez nous ? Nous avons couru à Méaco, à la terre d’Yesso, à la Californie ; nous irions à la lune avec Astolphe si nous avions un hippogriffe. Est-ce curiosité, inquiétude d’esprit ? est-ce besoin réel ?

Dès que les Européans eurent franchi le cap de Bonne-Espérance, la Propagande se flatta de subjuguer tous les peuples voisins des mers orientales, et de les convertir. On ne fit plus le commerce d’Asie que l’épée à la main ; et chaque nation de notre Occident fit partir tour à tour des marchands, des soldats, et des prêtres.

Gravons dans nos cervelles turbulentes ces mémorables paroles de l’empereur Yong-tching, quand il chassa tous les missionnaires jésuites et autres de son empire ; qu’elles soient écrites sur les portes de tous nos couvents : « Que diriez-vous[1] si nous allions, sous le prétexte de trafiquer dans vos contrées, dire à vos peuples que votre religion ne vaut rien, et qu’il faut absolument embrasser la nôtre ? »

C’est là cependant ce que l’Église latine a fait par toute la terre. Il en coûta cher au Japon ; il fut sur le point d’être enseveli dans les flots de son sang, comme le Mexique et le Pérou.

Il y avait dans les îles du Japon douze religions qui vivaient ensemble très-paisiblement. Des missionnaires arrivèrent de Portugal : ils demandèrent à faire la treizième ; on leur répondit qu’ils seraient les très-bienvenus, et qu’on n’en saurait trop avoir.

Voilà bientôt des moines établis au Japon avec le titre d’évêques. À peine leur religion fut-elle admise pour la treizième qu’elle voulut être la seule. Un de ces évêques, ayant rencontré dans son

  1. Voyez tome XIII, page 168.