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INFLUENCE.

On a démontré enfin cette étonnante propriété de la matière, de graviter sans contact, d’agir à des distances immenses[1].

Une idée influe sur une idée : chose non moins compréhensible.

Je n’ai point au mont Krapack le livre de l’Empire du soleil et de la lune, composé par le célèbre médecin Mead, qu’on prononce Mid ; mais je sais bien que ces deux astres sont la cause des marées, et ce n’est point en touchant les flots de l’Océan qu’ils opèrent ce flux et ce reflux ; il est démontré que c’est par les lois de la gravitation.

Mais quand vous avez la fièvre, le soleil et la lune influent-ils sur vos jours critiques ? Votre femme n’a-t-elle ses règles qu’au premier quartier de la lune ? Les arbres que vous coupez dans la pleine lune pourrissent-ils plus tôt que s’ils avaient été coupés dans le décours ? non pas que je sache ; mais des bois coupés quand la sève circulait encore ont éprouvé la putréfaction plus tôt que les autres ; et si par hasard c’était en pleine lune qu’on les coupa, on aura dit : C’est cette pleine lune qui a fait tout le mal.

Votre femme aura eu ses menstrues dans le croissant ; mais votre voisine a les siennes dans le dernier quartier.

Les jours critiques de la fièvre que vous avez pour avoir trop mangé arrivent vers le premier quartier : votre voisin a les siens vers le décours.

Il faut bien que tout ce qui agit sur les animaux et sur les végétaux agisse pendant que la lune marche.

Si une femme de Lyon a remarqué qu’elle a eu trois ou quatre fois ses règles les jours que la diligence arrivait de Paris, son apothicaire, homme à système, sera-t-il en droit de conclure que la diligence de Paris a une influence admirable sur les canaux excrétoires de cette dame ?

Il a été un temps où tous les habitants des ports de mer de l’Océan étaient persuadés qu’on ne mourait jamais quand la marée montait, et que la mort attendait toujours le reflux.

Plusieurs médecins ne manquaient pas de fortes raisons pour expliquer ce phénomène constant. La mer, en montant, communique aux corps la force qui l’élève. Elle apporte des particules vivifiantes qui raniment tous les malades. Elle est salée, et le sel préserve de la pourriture attachée à la mort. Mais quand la mer

  1. On verra, quelques lignes plus loin, que Voltaire, malgré tout son respect pour l’attraction, ne reconnaît pas aussi nettement qu’on pourrait le croire l’existence de forces sans intermédiaire. (G. A.)