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IMPUISSANCE.

milieu du xviie siècle. Ce prince n’était connu que par sa férocité, ses débauches, et sa force de corps prodigieuse. L’excès de ses fureurs révolta la nation. La reine sa femme, princesse de Nemours, qui voulait le détrôner et épouser l’infant don Pedro son frère, sentit combien il serait difficile d’épouser les deux frères l’un après l’autre, après avoir couché publiquement avec l’aîné. L’exemple de Henri VIII d’Angleterre l’intimidait ; elle prit le parti de faire déclarer son mari impuissant par le chapitre de la cathédrale de Lisbonne, en 1667 ; après quoi elle épousa au plus vite son beau-frère, avant même d’obtenir une dispense du pape.

La plus grande épreuve à laquelle on ait mis les gens accusés d’impuissance a été le congrès. Le président Bouhier prétend que ce combat en champ clos fut imaginé, en France, au xive siècle. Il est sûr qu’il n’a jamais été connu qu’en France.

Cette épreuve, dont on a fait tant de bruit, n’était point ce qu’on imagine. On se persuade que les deux époux procédaient, s’ils pouvaient, au devoir matrimonial sous les yeux des médecins, chirurgiens et sages-femmes ; mais non, ils étaient dans leur lit à l’ordinaire, les rideaux fermés ; les inspecteurs, retirés dans un cabinet voisin, n’étaient appelés qu’après la victoire ou la défaite du mari. Ainsi ce n’était au fond qu’une visite de la femme dans le moment le plus propre à juger l’état de la question. Il est vrai qu’un mari vigoureux pouvait combattre et vaincre en présence de témoins ; mais peu avaient ce courage.

Si le mari en sortait à son honneur, il est clair que sa virilité était démontrée ; s’il ne réussissait pas, il est évident que rien n’était décidé, puisqu’il pouvait gagner un second combat ; que, s’il le perdait, il pouvait en gagner un troisième, et enfin un centième.

On connaît le fameux procès du marquis de Langeais, jugé en 1659 (par appel à la chambre de l’édit, parce que lui et sa femme, Marie de Saint-Simon, étaient de la religion protestante) ; il demanda le congrès. Les impertinences rebutantes de sa femme le firent succomber. Il présenta un second cartel. Les juges, fatigués des cris des superstitieux, des plaintes des prudes, et des railleries des plaisants, refusèrent la seconde tentative, qui pourtant était de droit naturel : puisqu’on avait ordonné un conflit, on ne pouvait légitimement, ce semble, en refuser un autre.

La chambre déclara le marquis impuissant et son mariage nul, lui défendit de se marier jamais, et permit à sa femme de prendre un autre époux.

La chambre pouvait-elle empêcher un homme qui n’avait pu être excité à la jouissance par une femme d’y être excité par une