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IMPÔT.

diction prononcée dans l’Évangile contre les publicains ne doit regarder que ceux qui abusent de leur emploi pour vexer le peuple. Peut-être le copiste oublia-t-il un mot, comme l’épithète de pravus. On aurait pu dire pravus publicanus ; ce mot était d’autant plus nécessaire que cette malédiction générale est une contradiction formelle avec les paroles qu’on met dans la bouche de Jésus-Christ : Rendez à César ce qui est à César. Certainement celui qui recueille les droits de César ne doit pas être en horreur ; c’eût été insulter l’ordre des chevaliers romains, et l’empereur lui-même : rien n’aurait été plus malavisé.

Dans tous les pays policés les impôts sont très-forts, parce que les charges de l’État sont très-pesantes. En Espagne, les objets de commerce qu’on envoie à Cadix, et de là en Amérique, payent plus de trente pour cent avant qu’on ait fait votre compte.

En Angleterre, tout impôt sur l’importation est très-considérable : cependant on le paye sans murmure ; on se fait même une gloire de le payer. Un négociant se vante de faire entrer quatre à cinq mille guinées par an dans le trésor public.

Plus un pays est riche, plus les impôts y sont lourds. Des spéculateurs voudraient que l’impôt ne tombât que sur les productions de la campagne. Mais quoi ! j’aurai semé un champ de lin qui m’aura rapporté deux cents écus, et un gros manufacturier aura gagné deux cent mille écus en faisant convertir mon lin en dentelles ; ce manufacturier ne payera rien, et ma terre payera tout, parce que tout vient de la terre ! La femme de ce manufacturier fournira la reine et les princesses de beau point d’Alençon ; elle aura de la protection ; son fils deviendra intendant de justice, police et finance, et augmentera ma taille dans ma misérable vieillesse ! Ah ! messieurs les spéculateurs, vous calculez mal ; vous êtes injustes[1].

Le point capital serait qu’un peuple entier ne fût point dépouillé par une armée d’alguazils, pour qu’une vingtaine de sangsues de la cour ou de la ville s’abreuvât de son sang.

Le duc de Sully raconte, dans ses Économies politiques, qu’en 1585 il y avait juste vingt seigneurs intéressés au bail des fermes, à qui les adjudicataires donnaient trois millions deux cent quarante-huit mille écus.

C’était encore pis sous Charles IX et sous François Ier ; ce fut encore pis sous Louis XIII ; il n’y eut pas moins de déprédation dans la minorité de Louis XIV. La France, malgré tant de bles-

  1. Voyez les notes de l’Homme aux quarante écus.