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IMAGINATION.

En général les imaginations des peintres, quand elles ne sont qu’ingénieuses, font plus d’honneur à l’esprit de l’artiste qu’elles ne contribuent aux beautés de l’art. Toutes les compositions allégoriques ne valent pas la belle exécution de la main, qui fait le prix des tableaux.

Dans tous les arts la belle imagination est toujours naturelle ; la fausse est celle qui assemble des objets incompatibles ; la bizarre peint des objets qui n’ont ni analogie, ni allégorie, ni vraisemblance, comme des esprits qui se jettent à la tête dans leurs combats des montagnes chargées d’arbres, qui tirent du canon dans le ciel, qui font une chaussée dans le chaos ; Lucifer, qui se transforme en crapaud ; un ange coupé en deux par un coup de canon, et dont les deux parties se rejoignent incontinent, etc., etc.[1]..... L’imagination forte approfondit les objets ; la faible les effleure ; la douce se repose dans les peintures agréables ; l’ardente entasse images sur images ; la sage est celle qui emploie avec choix tous ces différents caractères, mais qui admet très-rarement le bizarre, et rejette toujours le faux.

Si la mémoire nourrie et exercée est la source de toute imagination, cette même mémoire surchargée la fait périr. Ainsi, celui qui s’est rempli la tête de noms et de dates n’a pas le magasin qu’il faut pour composer des images. Les hommes occupés de calculs ou d’affaires épineuses ont d’ordinaire l’imagination stérile.

Quand elle est trop ardente, trop tumultueuse, elle peut dégénérer en démence ; mais on a remarqué que cette maladie des organes du cerveau est bien plus souvent le partage de ces imaginations passives, bornées à recevoir la profonde empreinte des objets, que de ces imaginations actives et laborieuses qui assemblent et combinent des idées ; car cette imagination active a toujours besoin du jugement, l’autre en est indépendante.

Il n’est peut-être pas inutile d’ajouter à cet essai que par ces mots, perception, mémoire, imagination, jugement, on n’entend point des organes distincts, dont l’un a le don de sentir, l’autre se ressouvient, un troisième imagine, un quatrième juge. Les hommes sont plus portés qu’on ne pense à croire que ce sont des facultés différentes et séparées. C’est cependant le même être qui fait toutes ces opérations, que nous ne connaissons que par leurs effets, sans pouvoir rien connaître de cet être[2].

  1. Tout ceci porte évidemment sur le Paradis perdu de Milton.
  2. Ici finit le morceau inséré dans l’Encyclopédie. « À la suite de ce bel article de M. de Voltaire, disent les éditeurs de ce grand Dictionnaire, le lecteur ne sera pas fâché de trouver celui de M. Marmontel. » Et Marmontel suit. (G. A.)