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IMAGINATION.

dans l’émotion et dans les images : alors l’auteur dit précisément les mêmes choses que dirait la personne qu’il introduit :

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler.

(Racine, Phèdre, acte I, scène iii.)

L’imagination, alors ardente et sage, n’entasse point de figures incohérentes ; elle ne dit point, par exemple, pour exprimer un homme épais de corps et d’esprit, qu’il est

Flanqué de chair, gabionné de lard ;


et que la nature,

En maçonnant les remparts de son âme,
Songea plutôt au fourreau qu’à la lame[1].

Il y a de l’imagination dans ces vers ; mais elle est grossière, elle est déréglée, elle est fausse : l’image de rempart ne peut s’allier avec celle de fourreau ; c’est comme si on disait qu’un vaisseau est entré dans le port à bride abattue.

On permet moins l’imagination dans l’éloquence que dans la poésie. La raison en est sensible. Le discours ordinaire doit moins s’écarter des idées communes. L’orateur parle la langue de tout le monde ; le poëte a pour base de son ouvrage la fiction : aussi l’imagination est l’essence de son art ; elle n’est que l’accessoire dans l’orateur.

Certains traits d’imagination ont ajouté, dit-on, de grandes beautés à la peinture. On cite surtout cet artifice avec lequel un peintre mit un voile sur la tête d’Agamemnon, dans le sacrifice d’Iphigénie, artifice cependant bien moins beau que si le peintre avait eu le secret de faire voir sur le visage d’Agamemnon le combat de la douleur d’un père, de l’autorité d’un monarque, et du respect pour ses dieux ; comme Rubens a eu l’art de peindre dans les regards et dans l’attitude de Marie de Médicis la douleur de l’enfantement, la joie d’avoir un fils, et la complaisance dont elle envisage cet enfant[2].

  1. J.-B. Rousseau, allégorie intitulée Midas. Le texte porte :
    La nature et l’art....
    Songèrent plus, etc.
  2. Voyez Anciens et Modernes, tome XVII, page 235.