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IMAGINATION.

liqueur, qui empêchera de faire un calcul, donnera des idées brillantes ?

C’est surtout dans la poésie que cette imagination de détail et d’expression doit régner. Elle est ailleurs agréable, mais là elle est nécessaire. Presque tout est image dans Homère, dans Virgile, dans Horace, sans même qu’on s’en aperçoive. La tragédie demande moins d’images, moins d’expressions pittoresques, de grandes métapbores, d’allégories, que le poëme épique ou l’ode ; mais la plupart de ces beautés, bien ménagées, l’ont dans la tragédie un effet admirable. Un homme qui, sans être poëte, ose donner une tragédie, fait dire à Hippolyte :

Depuis que je vous vois j’abandonne la chasse.

(Pradon, Phèdre et Hippolyte, acte I, scène ii.)

Mais Hippolyte, que le vrai poëte fait parler, dit :

Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune.

(Racine, Phèdre, acte II, scène ii.)

Ces imaginations ne doivent jamais être forcées, ampoulées, gigantesques. Ptolémée parlant dans un conseil d’une bataille qu’il n’a pas vue, et qui s’est donnée loin de chez lui, ne doit point peindre

Ces montagnes de morts privés d’honneurs suprêmes,
Que la nature force à se venger eux-mêmes,
Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents
De quoi faire la guerre au reste des vivants.

(Corneille, Mort de Pompée, acte I, scène i.)

Une princesse ne doit point dire à un empereur :

La vapeur de mon sang ira grossir la foudre
Que Dieu tient déjà prête à le réduire en poudre.

(Héraclius, acte I, scène iii.)

On sent assez que la vraie douleur ne s’amuse point à une métaphore si recherchée.

L’imagination active qui fait les poëtes leur donne l’enthousiasme, c’est-à-dire, selon le mot grec, cette émotion interne qui agite en effet l’esprit, et qui transforme l’auteur dans le personnage qu’il fait parler : car c’est là l’enthousiasme ; il consiste