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IGNORANCE.422

sert le même dieu que la famille de Michas ; lorsqu’un petit-fils même de Moïse se fait prêtre de ce dieu étranger pour de l’argent, personne n’en murmure : chacun a son dieu paisiblement, et le petit-fils de Moïse est idolâtre sans que personne y trouve à redire ; donc alors chacun choisissait son dieu local, son protecteur.

Les mêmes Juifs, après la mort de Gédéon, adorent Baal-Bérith, qui signifie précisément la même chose qu’Adonaï, le seigneur, le protecteur : ils changent de protecteur.

Adonaï, du temps de Josué, se rend maître des montagnes[1] : mais il ne peut vaincre les habitants des vallées, parce qu’ils avaient des chariots armés de faux.

Y a-t-il rien qui ressemble plus à un dieu local, qui est puissant en un lieu, et qui ne l’est point en un autre ?

Jephté, fils de Galaad et d’une concubine, dit aux Moabites : «[2]Ce que votre dieu Chamos possède ne vous est-il pas dû de droit ? Et ce que le nôtre s’est acquis par ses victoires ne doit-il pas être à nous ? »

Il est donc prouvé invinciblement que les Juifs grossiers, quoique choisis par le Dieu de l’univers, le regardèrent pourtant comme un dieu local, un dieu particulier, tel que le dieu des Ammonites, celui des Moabites, celui des montagnes, celui des vallées.

Il est clair qu’il était malheureusement indifférent au petit-fils de Moïse de servir le Dieu de Michas ou celui de son grand-père. Il est clair, et il faut en convenir, que la religion juive n’était point formée ; qu’elle ne fut uniforme qu’après Esdras ; il faut encore en excepter les Samaritains.

Vous pouvez savoir maintenant ce que c’est que le seigneur Melchom. Je ne prends point son parti. Dieu m’en garde ; mais quand vous dites que c’était « un plaisant dieu que Jérémie menaçait de mettre en esclavage », je vous répondrai, monsieur l’abbé : De votre maison de verre, vous ne devriez pas jeter des pierres à celle de votre voisin.

C’étaient les Juifs qu’on menait alors en esclavage à Babylone ; c’était le bon Jérémie lui-même qu’on accusait d’avoir été corrompu par la cour de Babylone, et d’avoir prophétisé pour elle ; c’était lui qui était l’objet du mépris public, et qui finit, à ce qu’on croit, par être lapidé par les Juifs mêmes. Croyez-moi, ce Jérémie n’a jamais passé pour un rieur.

  1. Josué, chapitre xvii, v. 16. (Note de Voltaire.)
  2. Juges, chapitre xi. (Id.)