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IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE.

a débité des sentiments divers sur l’origine de ce culte rendu à Dieu ou à plusieurs dieux sous des figures sensibles : cette multitude de livres et d’opinions ne prouve que l’ignorance.

On ne sait pas qui inventa les habits et les chaussures, et on veut savoir qui le premier inventa les idoles ! Qu’importe un passage de Sanchoniathon, qui vivait avant la guerre de Troie ? que nous apprend-il, quand il dit que le chaos, l’esprit, c’est-à-dire le souffle, amoureux de ses principes, en tira le limon, qu’il rendit l’air lumineux, que le vent Colp et sa femme Baü engendrèrent Éon, qu’Éon engendra Genos, que Cronos, leur descendant, avait deux yeux par derrière comme par devant, qu’il devint dieu, et qu’il donna l’Égypte à son fils Thaut ? voilà un des plus respectables monuments de l’antiquité.

Orphée ne nous en apprendra pas davantage dans sa Théogonie, que Damascius nous a conservée. Il représente le principe du monde sous la figure d’un dragon à deux têtes, l’une de taureau, l’autre de lion, un visage au milieu, qu’il appelle visage-dieu, et des ailes dorées aux épaules.

Mais vous pouvez de ces idées bizarres tirer deux grandes vérités : l’une, que les images sensibles et les hiéroglyphes sont de l’antiquité la plus haute ; l’autre, que tous les anciens philosophes ont reconnu un premier principe.

Quant au polythéisme, le bon sens vous dira que dès qu’il y a eu des hommes, c’est-à-dire des animaux faibles, capables de raison et de folie, sujets à tous les accidents, à la maladie et à la mort, ces hommes ont senti leur faiblesse et leur dépendance ; ils ont reconnu aisément qu’il est quelque chose de plus puissant qu’eux ; ils ont senti une force dans la terre, qui fournit leurs aliments ; une dans l’air, qui souvent les détruit ; une dans le feu, qui consume ; et dans l’eau, qui submerge. Quoi de plus naturel dans des hommes ignorants que d’imaginer des êtres qui présidaient à ces éléments ? quoi de plus naturel que de révérer la force invisible qui faisait luire aux yeux le soleil et les étoiles ? et dès qu’on voulut se former une idée de ces puissances supérieures à l’homme, quoi de plus naturel encore que de les figurer d’une manière sensible ? Pouvait-on s’y prendre autrement ? La religion juive, qui précéda la nôtre, et qui fut donnée par Dieu même, était toute remplie de ces images sous lesquelles Dieu est représenté. Il daigne parler dans un buisson le langage humain ; il paraît sur une montagne : les esprits célestes qu’il envoie viennent tous avec une forme humaine ; enfin le sanctuaire est couvert de chérubins, qui sont des corps d’hommes avec des ailes