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IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE.

un lettré chinois était témoin de ces cérémonies, il pourrait par ignorance accuser les Italiens de mettre leur confiance dans les simulacres qu’ils promènent ainsi en procession.


SECTION II[1].


EXAMEN DE l’IDOLÂTRIE ANCIENNE.


Du temps de Charles Ier on déclara la religion catholique idolâtre en Angleterre. Tous les presbytériens sont persuadés que les catholiques adorent un pain qu’ils mangent, et des figures qui sont l’ouvrage de leurs sculpteurs et de leurs peintres. Ce qu’une partie de l’Europe reproche aux catholiques, ceux-ci le reprochent eux-mêmes aux Gentils.

On est surpris du nombre prodigieux de déclamations débitées dans tous les temps contre l’idolâtrie des Romains et des Grecs ; et ensuite on est plus surpris encore quand on voit qu’ils n’étaient pas idolâtres.

Il y avait des temples plus privilégiés que les autres. La grande Diane d’Éphèse avait plus de réputation qu’une Diane de village. Il se faisait plus de miracles dans le temple d’Esculape à Épidaure que dans un autre de ses temples. La statue de Jupiter Olympien attirait plus d’offrandes que celle de Jupiter Paphlagonien. Mais puisqu’il faut toujours opposer ici les coutumes d’une religion vraie à celles d’une religion fausse, n’avons-nous pas eu depuis plusieurs siècles plus de dévotion à certains autels qu’à d’autres ?

Notre-Dame de Lorette n’a-t-elle pas été préférée à Notre-Dame des Neiges, à celle des Ardents, à celle de Halle, etc. ? Ce n’est pas à dire qu’il y ait plus de vertu dans une statue à Lorette que dans une statue du village de Halle ; mais nous avons eu plus de dévotion à l’une qu’à l’autre ; nous avons cru que celle qu’on invoquait aux pieds de ses statues daignait du haut du ciel répandre plus de faveurs, opérer plus de miracles dans Lorette que dans Halle. Cette multiplicité d’images de la même personne prouve même que ce ne sont point ces images qu’on vénère, et que le culte se rapporte à la personne qui est représentée : car il n’est pas possible que chaque image soit la chose même ; il y a mille images de saint François, qui même ne lui ressemblent point, et qui ne se ressemblent point entre elles, et toutes indi-



  1. Dictionnaire philosophique, 1764 (voyez la note, page 402) ; toutefois le premier alinéa n’existait pas en 1764. (B.)