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IDOLE, IDÔLATRE, IDÔLATRIE.

disaient-ils, que nous jurons la paix. Or les statues de tous ces dieux, dont le dénombrement était très-long, n’étaient pas dans la tente des généraux. Ils regardaient ou feignaient les dieux comme présents aux actions des hommes, comme témoins, comme juges. Et ce n’est pas assurément le simulacre qui constituait la Divinité.

De quel œil voyaient-ils donc les statues de leurs fausses divinités dans les temples ? Du même œil, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que les catholiques voient les images, objets de leur vénération. L’erreur n’était pas d’adorer un morceau de bois ou de marbre, mais d’adorer une fausse divinité représentée par ce bois et ce marbre. La différence entre eux et les catholiques n’est pas qu’ils eussent des images et que les catholiques n’en aient point ; la différence est que leurs images figuraient des êtres fantastiques dans une religion fausse, et que les images chrétiennes figurent des êtres réels dans une religion véritable. Les Grecs avaient la statue d’Hercule, et nous celle de saint Christophe ; ils avaient Esculape et sa chèvre, et nous saint Roch et son chien ; ils avaient Mars et sa lance, et nous saint Antoine de Padoue et saint Jacques de Compostelle.

Quand le consul Pline adresse les prières aux dieux immortels, dans l’exorde du panégyrique de Trajan, ce n’est pas à des images qu’il les adresse. Ces images n’étaient pas immortelles.

Ni les derniers temps du paganisme, ni les plus reculés, n’offrent un seul fait qui puisse faire conclure qu’on adorât une idole. Homère ne parle que des dieux qui habitent le haut Olympe. Le palladium, quoique tombé du ciel, n’était qu’un gage sacré de la protection de Pallas ; c’était elle qu’on vénérait dans le palladium : c’était notre sainte ampoule.

Mais les Romains et les Grecs se mettaient à genoux devant des statues, leur donnaient des couronnes, de l’encens, des fleurs, les promenaient en triomphe dans les places publiques. Les catholiques ont sanctifié ces coutumes, et ne se disent point idolâtres.

Les femmes, en temps de sécheresse, portaient les statues des dieux après avoir jeûné. Elles marchaient pieds nus, les cheveux épars ; et aussitôt il pleuvait à seaux, comme dit Pétrone : Itaque statim urceatim pluebat[1]. N’a-t-on pas consacré cet usage, illégitime chez les Gentils, et légitime parmi les catholiques ? Dans combien de villes ne porte-t-on pas nu-pieds des charognes pour obtenir les bénédictions du ciel par leur intercession ? Si un Turc,


  1. Satyrikon, cap. xliv.