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HOMME.

familièrement entre eux, et s’applaudir des misères de leurs clients, peut avoir une très-mauvaise opinion de la nature :

Il est des professions plus affreuses, et qui sont briguées pourtant comme un canonicat.

Il en est qui changent un honnête homme en fripon, et qui l’accoutument malgré lui à mentir, à tromper, sans qu’à peine il s’en aperçoive ; à se mettre un bandeau devant les yeux, à s’abuser par l’intérêt et par la vanité de son état, à plonger sans remords l’espèce humaine dans un aveuglement stupide.

Les femmes, sans cesse occupées de l’éducation de leurs enfants et renfermées dans leurs soins domestiques, sont exclues de toutes ces professions qui pervertissent la nature humaine, et qui la rendent atroce. Elles sont partout moins barbares que les hommes.

Le physique se joint au moral pour les éloigner des grands crimes : leur sang est plus doux ; elles aiment moins les liqueurs fortes, qui inspirent la férocité. Une preuve évidente, c’est que sur mille victimes de la justice, sur mille assassins exécutés, vous comptez à peine quatre femmes, ainsi que nous l’avons prouvé ailleurs[1]. Je ne crois pas même qu’en Asie il y ait deux exemples de femmes condamnées à un supplice public.

Il paraît donc que nos coutumes, nos usages, ont rendu l’espèce mâle très-méchante.

Si cette vérité était générale et sans exception, cette espèce serait plus horrible que ne l’est à nos yeux celle des araignées, des loups et des fouines. Mais heureusement les professions qui endurcissent le cœur et le remplissent de passions odieuses sont très-rares. Observez que, dans une nation d’environ vingt millions de têtes, il y a tout au plus deux cent mille soldats. Ce n’est qu’un soldat par deux cents individus. Ces deux cent mille soldats sont tenus dans la discipline la plus sévère. Il y a parmi eux de très-honnêtes gens qui reviennent dans leur village achever leur vieillesse en bons pères et en bons maris.

Les autres métiers dangereux aux mœurs sont en petit nombre.

Les laboureurs, les artisans, les artistes, sont trop occupés pour se livrer souvent au crime.

La terre portera toujours des méchants détestables. Les livres en exagéreront toujours le nombre, qui, bien que trop grand, est moindre qu’on ne le dit.

Si le genre humain avait été sous l’empire du diable, il n’y aurait plus personne sur la terre.


  1. Voyez l’article Femme, où cependant l’auteur établit la proportion de 1 à 50.