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HOMME.

enfance. Il aura jusqu’à quinze ans la légèreté d’un papillon ; dans sa jeunesse la vanité d’un paon. Il faudra, dans l’âge viril, qu’il subisse autant de travaux que le cheval. Vers les cinquante ans, il aura les ruses du renard ; et dans sa vieillesse il sera laid et ridicule comme un singe. C’est assez là en général le destin de l’homme.

Remarquez encore que, malgré les bontés de Jupiter, cet animal, toute compensation faite, n’ayant que vingt-deux à vingt-trois ans à vivre tout au plus, en prenant le genre humain en général, il en faut ôter le tiers pour le temps du sommeil, pendant lequel on est mort ; reste à quinze ou environ : de ces quinze retranchons au moins huit pour la première enfance, qui est, comme on l’a dit[1], le vestibule de la vie. Le produit net sera sept ans ; de ces sept ans, la moitié au moins se consume dans les douleurs de toute espèce ; pose trois ans et demi pour travailler, s’ennuyer, et pour avoir un peu de satisfaction : et que de gens n’en ont point du tout ! Eh bien ! pauvre animal, feras-tu encore le fier[2] ?

Malheureusement, dans cette fable, Dieu oublia d’habiller cet animal comme il avait vêtu le singe, le renard, le cheval, le paon, et jusqu’à la chenille. L’espèce humaine n’eut que sa peau rase, qui, continuellement exposée au soleil, à la pluie, à la grêle, devint gercée, tannée, truitée. Le mâle, dans notre continent, fut défiguré par des poils épars sur son corps, qui le rendirent hideux sans le couvrir. Son visage fut caché sous ses cheveux. Son menton devint un sol raboteux, qui porta une forêt de tiges menues dont les racines étaient en haut, et les branches en bas. Ce fut dans cet état, et d’après cette image, que cet animal osa peindre Dieu, quand, dans la suite des temps, il apprit à peindre.

La femelle, étant plus faible, devint encore plus dégoûtante et plus affreuse dans sa vieillesse : l’objet de la terre le plus hideux est une décrépite. Enfin, sans les tailleurs et les couturières, l’espèce humaine n’aurait jamais osé se montrer devant les autres. Mais avant d’avoir des habits, avant même de savoir parler, il dut s’écouler bien des siècles. Cela est prouvé ; mais il faut le redire souvent.

Cet animal non civilisé, abandonné à lui-même, dut être le plus sale et le plus pauvre de tous les animaux.

Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,
Que faisais-tu dans les jardins d’Éden ?

  1. Voyez le paragraphe ii de l’Homme aux quarante écus.
  2. Voyez l’Homme aux quarante écus.