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HOMME.

riographe ou l’historien les encourage dans ces sentiments ; et en retraçant les guerres de la Fronde et celles de la religion, ils empêchent qu’il n’y en ait encore.



HOMME[1].


Pour connaître le physique de l’espèce humaine, il faut lire les ouvrages d’anatomie, les articles du Dictionnaire encyclopédique par M. Venel, ou plutôt faire un cours d’anatomie.

Pour connaître l’homme qu’on appelle moral, il faut surtout avoir vécu et réfléchi.

Tous les livres de morale ne sont-ils pas renfermés dans ces paroles de Job[2] : « Homo natus de muliere, brevi vivens tempore, repletur multis miseriis ; qui quasi flos egreditur et conteritur, et fugit velut umbra. — L’homme né de la femme vit peu ; il est rempli de misères, il est comme une fleur qui s’épanouit, se flétrit, et qu’on écrase ; il passe comme une ombre. »

Nous avons déjà vu que la race humaine n’a qu’environ vingt-deux ans à vivre[3], en comptant ceux qui meurent sur le sein de leurs nourrices, et ceux qui traînent jusqu’à cent ans les restes d’une vie imbécile et misérable.

C’est un bel apologue que cette ancienne fable du premier homme, qui était destiné d’abord à vivre vingt ans tout au plus : ce qui se réduisait à cinq ans, en évaluant une vie avec une autre. L’homme était désespéré ; il avait auprès de lui une chenille, un papillon, un paon, un cheval, un renard et un singe.

« Prolonge ma vie, dit-il à Jupiter ; je vaux mieux que tous ces animaux-là : il est juste que, moi et mes enfants, nous vivions très-longtemps pour commander à toutes les bêtes. — Volontiers, dit Jupiter ; mais je n’ai qu’un certain nombre de jours à partager entre tous les êtres à qui j’ai accordé la vie. Je ne puis te donner qu’en retranchant aux autres. Car ne t’imagine pas, parce que je suis Jupiter, que je sois infini et tout-puissant : j’ai ma nature et ma mesure. Çà, je veux bien t’accorder quelques années de plus, en les ôtant à ces six animaux dont tu es jaloux, à condition que tu auras successivement leurs manières d’être. L’homme sera d’abord chenille, en se traînant comme elle dans sa première

  1. Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. Chapitre xiv, v. 1 et 2.
  3. Voyez l’article Âge.