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HISTOIRE.

fanatique avait vouIu l’assassiner ? Ne sera-t-on pas porté, au contraire, à croire Polybe, qui était antérieur à Tite-Live de deux cents années ? Polybe dit que Porsenna subjugua les Romains : cela est bien plus probable que l’aventure de Scévola, qui se brûla entièrement la main parce qu’elle s’était méprise. J’aurais défié Poltrot d’en faire autant.

L’aventure de Régulus, enfermé par les Carthaginois dans un tonneau garni de pointes de fer, mérite-t-elle qu’on la croie ? Polybe, contemporain, n’en aurait-il pas parlé si elle avait été vraie ? Il n’en dit pas un mot : n’est-ce pas une grande présomption que ce conte ne fut inventé que longtemps après pour rendre les Carthaginois odieux ?

Ouvrez le Dictionnaire de Moréri, à l’article Régulus ; il vous assure que le supplice de ce Romain est rapporté dans Tite-Live : cependant la décade où Tite-Live aurait pu en parler est perdue ; on n’a que le supplément de Freinshemius ; et il se trouve que ce dictionnaire n’a cité qu’un Allemand du xviie siècle, croyant citer un Romain du temps d’Auguste. On ferait des volumes immenses de tous les faits célèbres et reçus dont il faut douter. Mais les bornes de cet article ne permettent pas de s’étendre.


LES TEMPLES, LES FÊTES, LES CÉRÉMONIES ANNUELLES, LES MÉDAILLES MÊME, SONT-ELLES DES PREUVES HISTORIQUES ?


On est naturellement porté à croire qu’un monument érigé par une nation pour célébrer un événement en atteste la certitude : cependant, si ces monuments n’ont pas été élevés par des contemporains, s’ils célèbrent quelques faits peu vraisemblables, prouvent-ils autre chose sinon qu’on a voulu consacrer une opinion populaire ?

La colonne rostrale érigée dans Rome par les contemporains de Duillius est sans doute une preuve de la victoire navale de Duillius ; mais la statue de l’augure Nœvius, qui coupait un caillou avec un rasoir, prouvait-elle que Nœvius avait opéré ce prodige ? Les statues de Cérès et de Triptolème, dans Athènes, étaient-elles des témoignages incontestables que Cérès était descendue de je ne sais quelle planète pour venir enseigner l’agriculture aux Athéniens ? Le fameux Laocoon, qui subsiste aujourd’hui si entier, atteste-t-il bien la vérité de l’histoire du cheval de Troie ?

Les cérémonies, les fêtes annuelles établies par toute une nation, ne constatent pas mieux l’origine à laquelle on les attribue. La fête d’Arion porté sur un dauphin se célébrait chez les