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HISTOIRE.

Il l’appelle un furieux, un misérable ; il assure que Julien immolait de jeunes garçons et de jeunes filles toutes les nuits dans des caves. C’est ainsi qu’il parle du plus clément des hommes, qui ne s’était jamais vengé des invectives que ce même Grégoire proféra contre lui pendant son règne.

Une méthode heureuse de justifier les calomnies dont on accable un innocent, c’est de faire l’apologie d’un coupable. Par là tout est compensé ; et c’est la manière qu’emploie le même saint de Nazianze. L’empereur Constance, oncle et prédécesseur de Julien, à son avènement à l’empire avait massacré Julius, frère de sa mère, et ses deux fils, tous trois déclarés augustes : c’était une méthode qu’il tenait de son père le grand Constantin ; il fit ensuite assassiner Gallus, frère de Julien. Cette cruauté qu’il exerça contre sa famille, il la signala contre l’empire ; mais il était dévot, et même, dans la bataille décisive qu’il donna contre Magnence, il pria Dieu dans une église pendant tout le temps que les armées furent aux mains. Voilà l’homme dont Grégoire fait le panégyrique. Si les saints nous font connaître ainsi la vérité, que ne doit-on point attendre des profanes, surtout quand ils sont ignorants, superstitieux, et passionnés ?

On fait quelquefois aujourd’hui un usage un peu bizarre de l’étude de l’histoire. On déterre des chartes du temps de Dagobert, la plupart suspectes et mal entendues, et on en infère que des coutumes, des droits, des prérogatives, qui subsistaient alors, doivent revivre aujourd’hui. Je conseille à ceux qui étudient et qui raisonnent ainsi de dire à la mer : Tu as été autrefois à Aigues-Mortes, à Fréjus, à Ravenne, à Ferrare ; retournes-y tout à l’heure.


SECTION III[1].
de l’utilité de l’histoire.

Cet avantage consiste surtout dans la comparaison qu’un homme d’État, un citoyen peut faire des lois et des mœurs étrangères avec celles de son pays : c’est ce qui excite l’émulation des

  1. Toute cette section faisait, en 1771, partie des Questions sur l’Encyclopédie. (Voyez les notes, pages 346 et 352.)

    À quelques alinéas près, ce qui la compose faisait partie de l’article Histoire, dans le tome VIII de l’Encyclopédie, en 1765.

    Le morceau de l’Utilité de l’histoire, qui fait aussi partie du tome III des Nouveaux Mélanges, publié en 1765, avait été placé ailleurs par les éditeurs de Kehl. Ils en avaient fait le XIVe des Fragments de l’histoire (voyez dans les Mélanges, année 1773). (B.)