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HISTOIRE.

plus rare chez les Français et chez les Germains que de savoir écrire ; jusqu’au xive siècle de notre ère vulgaire, presque tous les actes n’étaient attestés que par témoins. Ce ne fut, en France, que sous Charles VII, en 1454, que l’on commença à rédiger par écrit quelques coutumes de France. L’art d’écrire était encore plus rare chez les Espagnols, et de là vient que leur histoire est si sèche et si incertaine jusqu’au temps de Ferdinand et d’Isabelle. On voit par là combien le très-petit nombre d’hommes qui savaient écrire pouvaient en imposer, et combien il a été facile de nous faire croire les plus énormes absurdités.

Il y a des nations qui ont subjugué une partie de la terre sans avoir l’usage des caractères. Nous savons que Gengis-kan conquit une partie de l’Asie au commencement du xiiie siècle ; mais ce n’est ni par lui ni par les Tartares que nous le savons. Leur histoire, écrite par les Chinois et traduite par le P. Gaubil, dit que ces Tartares n’avaient point alors l’art d’écrire.

Cet art ne dut pas être moins inconnu au Scythe Oguskan, nommé Madiès par les Persans et par les Grecs, qui conquit une partie de l’Europe et de l’Asie si longtemps avant le règne de Cyrus. Il est presque sûr qu’alors sur cent nations il y en avait à peine deux ou trois qui employassent des caractères. Il se peut que, dans un ancien monde détruit, les hommes aient connu l’écriture et les autres arts ; mais dans le nôtre ils sont tous très-récents.

Il reste des monuments d’une autre espèce, qui servent à constater seulement l’antiquité reculée de certains peuples, et qui précèdent toutes les époques connues et tous les livres ; ce sont les prodiges d’architecture, comme les pyramides et les palais d’Égypte, qui ont résisté au temps. Hérodote, qui vivait il y a deux mille deux cents ans, et qui les avait vus, n’avait pu apprendre des prêtres égyptiens dans quel temps on les avait élevés.

Il est difficile de donner à la plus ancienne des pyramides moins de quatre mille ans d’antiquité ; mais il faut considérer que ces efforts de l’ostentation des rois n’ont pu être commencés que longtemps après l’établissement des villes. Mais pour bâtir des villes dans un pays inondé tous les ans, remarquons toujours qu’il avait fallu d’abord relever le terrain des villes sur des pilotis dans ce terrain de vase, et les rendre inaccessibles à l’inondation ; il avait fallu, avant de prendre ce parti nécessaire, et avant d’être en état de tenter ces grands travaux, que les peuples se fussent pratiqué des retraites, pendant la crue du Nil, au milieu des rochers qui forment deux chaînes à droite et à gauche de ce