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HERMÈS.

Égyptien[1] qui prétendait être descendu de l’ancien Mercure, de cet ancien Thaut, premier législateur de l’Égypte.

Il est vrai que saint Augustin ne savait pas plus l’égyptien que le grec ; mais il faut bien que de son temps on ne doutât pas que l’Hermès dont nous avons la théologie ne fût un sage de l’Égypte, antérieur probablement au temps d’Alexandre, et l’un des prêtres que Platon alla consulter.

Il m’a toujours paru que la théologie de Platon ne ressemblait en rien à celle des autres Grecs, si ce n’est à celle de Timée, qui avait voyagé en Égypte ainsi que Pythagore.

L’Hermès Trismégiste que nous avons est écrit dans un grec barbare, assujetti continuellement à une marche étrangère. C’est une preuve qu’il n’est qu’une traduction dans laquelle on a plus suivi les paroles que le sens.

Joseph Scaliger, qui aida le seigneur de Candale, évêque d’Aire, à traduire l’Hermès ou Mercure Trismégiste, ne doute pas que l’original ne fût égyptien.

Ajoutez à ces raisons qu’il n’est pas vraisemblable qu’un Grec eût adressé si souvent la parole à Thaut. Il n’est guère dans la nature qu’on parle avec tant d’effusion de cœur à un étranger ; du moins on n’en voit aucun exemple dans l’antiquité.

L’Esculape égyptien qu’on fait parler dans ce livre, et qui peut-être en est l’auteur, écrit au roi d’Égypte Ammon[2] : « Gardez-vous bien de souffrir que les Grecs traduisent les livres de notre Mercure, de notre Thaut, parce qu’ils le défigureraient. » Certainement un Grec n’aurait point parlé ainsi.

Toutes les vraisemblances sont donc que ce fameux livre est égyptien.

Il y a une autre réflexion à faire, c’est que les systèmes d’Hermès et de Platon conspiraient également à s’étendre chez les écoles juives dès le temps des Ptolémées. Cette doctrine y fit bientôt de très-grands progrès. Vous la voyez étalée tout entière chez le juif Philon, homme savant à la mode de ces temps-là.

Il copie des passages entiers du Mercure Trismégiste dans son chapitre de la formation du monde. « Premièrement, dit-il, Dieu fit le monde intelligible, le ciel incorporel, et la terre invisible ; après il créa l’essence incorporelle de l’eau et de l’esprit, et enfin l’essence de la lumière incorporelle, patron du soleil et de tous les astres. »

  1. Cité de Dieu, livre VIII, chapitre xxvi. (Note de Voltaire.)
  2. Préface du Mercure Trismégiste. (Id.)