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HÉRÉSIE.

La puissance impériale établit enfin dans toute l’Égypte l’autorité de ce concile de Chalcédoine ; mais plus de cent mille Égyptiens, massacrés dans différentes occasions pour avoir refusé de reconnaître ce concile, avaient porté dans le cœur de tous les Égyptiens une haine implacable contre les empereurs. Une partie des ennemis du concile se retira dans la haute Égypte, d’autres sortirent des terres de l’empire, et passèrent en Afrique et chez les Arabes, où toutes les religions étaient tolérées[1].

Nous avons déjà dit[2] que, sous le règne d’Irène, le culte des images fut rétabli et confirmé par le second concile de Nicée. Léon l’Arménien, Michel le Bègue et Théophile, n’oublièrent rien pour l’abolir ; et cette contestation causa encore du trouble dans l’empire de Constantinople, jusqu’au règne de l’impératrice Théodora, qui donna au second concile de Nicée force de loi, éteignit le parti des iconoclastes, et employa toute son autorité contre les manichéens. Elle envoya dans tout l’empire ordre de les rechercher, et de faire mourir tous ceux qui ne se convertiraient pas. Plus de cent mille périrent par différents genres de supplices. Quatre mille, échappés aux recherches et aux supplices, se sauvèrent chez les Sarrasins, s’unirent à eux, ravagèrent les terres de l’empire, se bâtirent des places fortes où les manichéens, que la crainte des supplices avait tenus cachés, se réfugièrent, et formèrent une puissance formidable par leur nombre et par leur haine contre les empereurs et les catholiques. On les vit plusieurs fois ravager les terres de l’empire, et tailler ses armées en pièces[3].

Nous abrégeons les détails de ces massacres ; ceux d’Irlande, où plus de cent cinquante mille hérétiques furent exterminés en quatre ans[4] ; ceux des vallées de Piémont, ceux dont nous parlerons à l’article Inquisition, enfin la Saint-Barthélemy, signalèrent en Occident le même esprit d’intolérance, contre lequel on n’a rien de plus sensé que ce que l’on trouve dans les ouvrages de Salvien.

Voici comment s’exprime, sur les sectateurs d’une des premières hérésies, ce digne prêtre de Marseille, qu’on surnomma le maître des évêques, et qui déplorait avec tant de douleur les dérèglements de son temps qu’on l’appela le Jérémie du ve siècle. « Les ariens, dit-il[5], sont hérétiques ; mais ils ne le savent pas : ils sont hérétiques chez nous, mais ils ne le sont pas chez eux ;

  1. Histoire des patriarches d’Alexandrie, page 164. (Note de Voltaire.)
  2. Au mot Conciles, section ii, page 216 du tome XVIII.
  3. Dupin, Bibliothèque, ixe siècle. (Note de Voltaire.)
  4. Bibliothèque anglaise, livre II, page 303. (Id.)
  5. Livre V, du Gouvernement de Dieu, chapitre ii. (Id.)