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HÉRÉSIE.

Bibliothèque des Pères, ayant ramassé jusqu’aux hérésies qui ont paru chez les Juifs avant Jésus-Christ, en compte vingt-huit de celles-là, et cent vingt-huit depuis Jésus-Christ ; au lieu que saint Épiphane, en y comprenant les unes et les autres, n’en trouve que quatre-vingts, La raison que saint Augustin donne de cette différence, c’est que ce qui paraît hérésie à l’un ne le paraît pas à l’autre. Aussi ce Père dit-il aux manichéens[1] : Nous nous gardons bien de vous traiter avec rigueur ; nous laissons cette conduite à ceux qui ne savent pas quelle peine il faut pour trouver la vérité, et combien il est difficile de se garantir des erreurs ; nous laissons cette conduite à ceux qui ne savent pas quels soupirs et quels gémissements il faut pour acquérir quelque petite connaissance de la nature divine. Pour moi, je dois vous supporter comme on m’a supporté autrefois, et user envers vous de la même tolérance dont on usait envers moi lorsque j’étais dans l’égarement.

Cependant si l’on se rappelle les imputations infâmes dont nous avons dit un mot à l’article Généalogie, et les abominations dont ce Père accusait les manichéens dans la célébration de leurs mystères, comme nous le verrons à l’article Zèle, on se convaincra que la tolérance ne fut jamais la vertu du clergé. Nous avons déjà vu, à l’article Concile, quelles séditions furent excitées par les ecclésiastiques à l’occasion de l’arianisme. Eusèbe nous apprend[2] qu’il y eut des endroits où l’on renversa les statues de Constantin, parce qu’il voulait qu’on supportât les ariens ; et Sozomène[3] dit qu’à la mort d’Eusèbe de Nicomédie, l’arien Macédonius disputant le siége de Constantinople à Paul catholique, le trouble et la confusion devinrent si grands dans l’église de laquelle ils voulaient se chasser réciproquement, que les soldats, croyant que le peuple se soulevait, le chargèrent ; on se battit, et plus de trois mille personnes furent tuées à coups d’épée ou étouffées. Macédonius monta sur le trône épiscopal, s’empara bientôt de toutes les églises, et persécuta cruellement les novatiens et les catholiques. C’est pour se venger de ces derniers qu’il nia la divinité du Saint-Esprit, comme il reconnut la divinité du Verbe, niée par les ariens, pour braver leur protecteur Constance, qui l’avait déposé.

Le même historien ajoute[4] qu’à la mort d’Athanase, les ariens,

  1. Lettre contre celle de Manès, chapitres ii et iii. (Note de Voltaire.)
  2. Vie de Constantin, livre III, chapitre iv. (Id.)
  3. Idem, livre IV, chapitre xxi. (Id.)
  4. Vie de Constantin, livre VI, chapitre xx. (Id.)