Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/324

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
GRÉGOIRE VII.

GRÉGOIRE VII[1].


Bayle lui-même, en convenant que Grégoire fut le boute-feu de l’Europe[2], lui accorde le titre de grand homme. « Que l’ancienne Rome, dit-il, qui ne se piquait que de conquêtes et de la vertu militaire, ait subjugué tant d’autres peuples, cela est beau et glorieux selon le monde ; mais on n’en est pas surpris quand on y fait un peu réflexion. C’est bien un autre sujet de surprise quand on voit la nouvelle Rome, ne se piquant que du ministère apostolique, acquérir une autorité sous laquelle les plus grands monarques ont été contraints de plier. Car on peut dire qu’il n’y a presque point d’empereur qui ait tenu tête aux papes qui ne se soit enfin très-mal trouvé de sa résistance. Encore aujourd’hui, les démêlés des plus puissants princes avec la cour de Rome se terminent presque toujours à leur confusion. »

Je ne suis en rien de l’avis de Bayle. Il pourra se trouver bien des gens qui ne seront pas de mon avis ; mais le voici, et le réfutera qui voudra.

1° Ce n’est pas à la confusion des princes d’Orange et des sept Provinces-Unies que se sont terminés leurs différends avec Rome ; et Bayle, se moquant de Rome dans Amsterdam, était un assez bel exemple du contraire.

Les triomphes de la reine Élisabeth, de Gustave Vasa en Suède, des rois de Danemark, de tous les princes du nord de l’Allemagne, de la plus belle partie de l’Hélvétie, de la seule petite ville de Genève, sur la politique de la cour romaine, sont d’assez bons témoignages qu’il est aisé de lui résister en fait de religion et de gouvernement.

2° Le saccagement de Rome par les troupes de Charles-Quint ; le pape Clément VII prisonnier au château Saint-Ange ; Louis XIV obligeant le pape Alexandre VII à lui demander pardon, et érigeant dans Rome même un monument de la soumission du pape ; et de nos jours les jésuites, cette principale milice papale détruite si aisément en Espagne, en France, à Naples, à Goa, et dans le Paraguai ; tout cela prouve assez que quand les princes puissants sont mécontents de Rome, ils ne terminent point cette querelle à leur confusion : ils pourront se laisser fléchir, mais ils ne seront pas confondus.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, sixième partie, 1771. (B.)
  2. Voyez Bayle, à l’article Grégoire.