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GRAVE, GRAVITÉ.

auteur, des maximes de poids, pour homme, auteur, maximes graves. Le grave est au sérieux ce que le plaisant est à l’enjoué ; il a un degré de plus, et ce degré est considérable : on peut être sérieux par humeur, et même faute d’idées ; on est grave, ou par bienséance, ou par l’importance des idées qui donnent de la gravité. Il y a de la différence entre être grave et être un homme grave. C’est un défaut d’être grave hors de propos ; celui qui est grave dans la société est rarement recherché. Un homme grave est celui qui s’est concilié de l’autorité, plus par sa sagesse que par son maintien.

. . . . . . Pietate gravem ac meritis si forte virum quem.

(Virg., Æn., I, 155.)

L’air décent est nécessaire partout ; mais l’air grave n’est convenable que dans les fonctions d’un ministère important, dans un conseil. Quand la gravité n’est que dans le maintien, comme il arrive très-souvent, on dit gravement des inepties : cette espèce de ridicule inspire de l’aversion. On ne pardonne pas à qui veut en imposer par cet air d’autorité et de suffisance.

Le duc de La Rochefaucauld a dit que « la gravité est un mystère du corps, inventé pour cacher les défauts de l’esprit[1] ». Sans examiner si cette expression, mystère du corps, est naturelle et juste, il suffit de remarquer que la réflexion est vraie pour tous ceux qui affectent de la gravité, mais non pour ceux qui ont dans l’occasion une gravité convenable à la place qu’ils tiennent, au lieu où ils sont, aux matières qu’on traite.

Un auteur grave est celui dont les opinions sont suivies dans les matières contentieuses ; on ne le dit pas d’un auteur qui a écrit sur des choses hors de doute. Il serait ridicule d’appeler Euclide, Archimède, des auteurs graves.

Il y a de la gravité dans le style. Tite-Live, de Thou, ont écrit avec gravité : on ne peut pas dire la même chose de Tacite, qui a recherché la précision, et qui laisse voir de la malignité ; encore moins du cardinal de Retz, qui met quelquefois dans ses écrits une gaieté déplacée, et qui s’écarte quelquefois des bienséances.

Le style grave évite les saillies, les plaisanteries : s’il s’élève quelquefois au sublime, si dans l’occasion il est touchant, il rentre bientôt dans cette sagesse, dans cette simplicité noble qui

  1. Réflexions morales, n° 265.