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GRAND, GRANDEUR.

employé d’une façon impropre, pour signifier moins fier, abaissé, modeste :

Et désormais gracieux,
Allez à Liége, à Bruxelles,
Porter les humbles nouvelles
De Namur pris à vos yeux.

La plupart des peuples du Nord disent : Notre gracieux souverain ; apparemment qu’ils entendent bienfaisant. De gracieux on a fait disgracieux, comme de grâce on a formé disgrâce : des paroles disgracieuses, une aventure disgracieuse. On dit disgracié, et on ne dit pas gracié. On commence à se servir du mot gracieuser, qui signifie recevoir, parler obligeamment ; mais ce mot n’est pas employé par les bons écrivains dans le style noble.



GRAND, GRANDEUR[1].
De ce qu’on entend par ces mots.

Grand est un des mots le plus fréquemment employés dans le sens moral et avec le moins de circonspection. Grand homme, grand génie, grand esprit, grand capitaine, grand philosophe, grand orateur, grand poëte ; on entend par cette expression : « quiconque dans son art passe de loin les bornes ordinaires ». Mais comme il est difficile de poser ces bornes, on donne souvent le nom de grand au médiocre.

On se trompe moins dans les significations de ce terme au physique. On sait ce que c’est qu’un grand orage, un grand malheur, une grande maladie, de grands biens, une grande misère.

Quelquefois le terme gros est mis au physique pour grand, mais jamais au moral. On dit de gros biens, pour grandes richesses ; une grosse pluie, pour grande pluie ; mais non pas gros capitaine, pour grand capitaine ; gros ministre, pour grand ministre. Grand financier signifie un homme très-intelligent dans les finances de l’État ; gros financier ne veut dire qu’un homme enrichi dans la finance.

Le grand homme est plus difficile à définir que le grand artiste. Dans un art, dans une profession, celui qui a passé de loin

  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)