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GRÂCE.

Cette peuplade s’était peu multipliée. On a prétendu que la raison en était que les Arabes leurs voisins, et avant eux les Africains, venaient prendre les filles de ce canton.

Ce peuple chétif, mais heureux, n’avait jamais entendu parler de la religion chrétienne, ni de la juive ; connaissait médiocrement celle de Mahomet, et n’en faisait aucun cas. Il offrait de temps immémorial du lait et des fruits à une statue d’Hercule : c’était là toute sa religion. Du reste, ces hommes ignorés vivaient dans l’indolence et dans l’innocence. Un familier de l’Inquisition les découvrit enfin. Le grand inquisiteur les fit tous brûler: c’est le seul événement de leur histoire.

Les motifs sacrés de leur condamnation furent qu’ils n’avaient jamais payé d’impôt, attendu qu’on ne leur en avait jamais demandé, et qu’ils ne connaissaient point la monnaie ; qu’ils n’avaient point de Bible, vu qu’ils n’entendaient point le latin ; et que personne n’avait pris la peine de les baptiser. On les déclara sorciers et hérétiques ; ils furent tous revêtus du san-benito, et grillés en cérémonie.

Il est clair que c’est ainsi qu’il faut gouverner les hommes : rien ne contribue davantage aux douceurs de la société.


GRÂCE[1].

Dans les personnes, dans les ouvrages, grâce signifie non-seulement ce qui plaît, mais ce qui plaît avec attrait. C’est pourquoi les anciens avaient imaginé que la déesse de la beauté ne devait jamais paraître sans les Grâces. La beauté ne déplaît jamais ; mais elle peut être dépourvue de ce charme secret qui invite à la regarder, qui attire, qui remplit l’âme d’un sentiment doux. Les grâces dans la figure, dans le maintien, dans l’action, dans les discours, dépendent de ce mérite qui attire. Une belle personne n’aura point de grâces dans le visage si la bouche est fermée sans sourire, si les yeux sont sans douceur. Le sérieux n’est jamais gracieux ; il n’attire point ; il approche trop du sévère, qui rebute.

Un homme bien fait, dont le maintien est mal assuré ou gêné, la démarche précipitée ou pesante, les gestes lourds, n’a point de grâce, parce qu’il n’a rien de doux, de liant dans son extérieur.

  1. Encyclopédie, tome VII, 1757 (B.)