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GOUVERNEMENT.

Cette dureté de mœurs, qui a fait de leur île le théâtre de tant de sanglantes tragédies, n’a-t-elle pas contribué aussi à leur inspirer une franchise généreuse ?

N’est-ce pas ce mélange de leurs qualités contraires qui a fait couler tant de sang royal dans les combats et sur les échafauds, et qui n’a jamais permis qu’ils employassent le poison dans leurs troubles civils, tandis qu’ailleurs, sous un gouvernement sacerdotal, le poison était une arme si commune ?

L’amour de la liberté n’est-il pas devenu leur caractère dominant, à mesure qu’ils ont été plus éclairés et plus riches ? Tous les citoyens ne peuvent être également puissants, mais ils peuvent tous être également libres ; et c’est ce que les Anglais ont obtenu enfin par leur constance.

Être libre, c’est ne dépendre que des lois. Les Anglais ont donc aimé les lois, comme les pères aiment leurs enfants parce qu’ils les ont faits, ou qu’ils ont cru les faire.

Un tel gouvernement n’a pu être établi que très-tard, parce qu’il a fallu longtemps combattre des puissances respectées : la puissance du pape, la plus terrible de toutes, puisqu’elle était fondée sur le préjugé et sur l’ignorance ; la puissance royale, toujours prête à se déborder, et qu’il fallait contenir dans ses bornes ; la puissance du baronnage, qui était une anarchie ; la puissance des évêques, qui, mêlant toujours le profane au sacré, voulurent l’emporter sur le baronnage et sur les rois.

Peu à peu la chambre des communes est devenue la digue qui arrête tous ces torrents.

La chambre des communes est véritablement la nation, puisque le roi, qui est le chef, n’agit que pour lui, et pour ce qu’on appelle sa prérogative ; puisque les pairs ne sont en parlement que pour eux ; puisque les évêques n’y sont de même que pour eux ; mais la chambre des communes y est pour le peuple, puisque chaque membre est député du peuple. Or ce peuple est au roi comme environ huit millions sont à l’unité. Il est aux pairs et aux évêques comme huit millions sont à deux cents tout au plus. Et les huit millions de citoyens libres sont représentés par la chambre basse.

De cet établissement, en comparaison duquel la république de Platon n’est qu’un rêve ridicule, et qui semblerait inventé par Locke, par Newton, par Halley, ou par Archimède, il est né des abus affreux, et qui font frémir la nature humaine. Les frottements inévitables de cette vaste machine l’ont presque détruite du temps de Fairfax et de Cromwell. Le fanatisme absurde s’était