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GOÛT.

un mousse, qu’il ramena dans sa patrie en adorant le Tien, et en se recommandant à Confucius.

Pour moi, témoin de cette conversation, je vis clairement ce que c’est que la gloire ; et je dis : « Puisque César et Jupiter sont inconnus dans le royaume le plus beau, le plus ancien, le plus vaste, le plus peuplé, le mieux policé de l’univers, il vous sied bien, ô gouverneurs de quelques petits pays ! ô prédicateurs d’une petite paroisse, dans une petite ville ! ô docteurs de Salamanque ou de Bourges ! ô petits auteurs ! ô pesants commentateurs ! il vous sied bien de prétendre à la réputation. »


GOÛT.
SECTION PREMIÈRE[1].


Le goût, ce sens, ce don de discerner nos aliments, a produit dans toutes les langues connues la métaphore qui exprime, par le mot goût, le sentiment des beautés et des défauts dans tous les arts : c’est un discernement prompt, comme celui de la langue et du palais, et qui prévient comme lui la réflexion ; il est, comme lui, sensible et voluptueux à l’égard du bon ; il rejette, comme lui, le mauvais avec soulèvement ; il est souvent, comme lui, incertain et égaré, ignorant même si ce qu’on lui présente doit lui plaire, et ayant quelquefois besoin, comme lui, d’habitude pour se former.

Il ne suffit pas, pour le goût, de voir, de connaître la beauté d’un ouvrage : il faut la sentir, en être touché. Il ne suffit pas de sentir, d’être touché d’une manière confuse ; il faut démêler les différentes nuances. Rien ne doit échapper à la promptitude du discernement ; et c’est encore une ressemblance de ce goût intellectuel, de ce goût des arts, avec le goût sensuel : car le gourmet sent et reconnaît promptement le mélange de deux liqueurs ; l’homme de goût, le connaisseur, verra d’un coup d’œil prompt le mélange de deux styles ; il verra un défaut à côté d’un agrément ; il sera saisi d’enthousiasme à ce vers des Horaces :

Que vouliez-vous qu’il fit contre trois ? — Qu’il mourût !


il sentira un dégoût involontaire au vers suivant :

Ou qu’un beau désespoir alors le secourût.

(Acte III, scène vi.)
  1. Encyclopédie, tome VII, 1757. (B.)