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GLOIRE, GLORIEUX.

être incompatibles, et qui le sont devenues chez nous, grâces au respect extrême qu’on a pour l’argent, et au peu de considération que l’espèce humaine a montré et montrera toujours pour le mérite. Ce Chinois, qui parlait un peu hollandais, se trouva dans une boutique de librairie avec quelques savants : il demanda un livre, on lui proposa l’Histoire universelle de Bossuet, mal traduite. À ce beau mot d’Histoire universelle : « Je suis, dit-il, trop heureux ; je vais voir ce qu’on dit de notre grand empire, de notre nation, qui subsiste en corps de peuple depuis plus de cinquante mille ans, de cette suite d’empereurs qui nous ont gouvernés tant de siècles  ; je vais voir ce qu’on pense de la religion des lettrés, de ce culte simple que nous rendons à l’Être suprême. Quel plaisir de voir comme on parle en Europe de nos arts, dont plusieurs sont plus anciens chez nous que tous les royaumes européans ! Je crois que l’auteur se sera bien mépris dans l’histoire de la guerre que nous eûmes, il y a vingt-deux mille cinq cent cinquante-deux ans, contre les peuples belliqueux du Tunquin et du Japon ; et sur cette ambassade solennelle par laquelle le puissant empereur du Mogol nous envoya demander des lois, l’an du monde 500000000000079123450000.

— Hélas ! lui dit un des savants, on ne parle pas seulement de vous dans ce livre ; vous êtes trop peu de chose ; presque tout roule sur la première nation du monde, l’unique nation, le grand peuple juif.

— Juif ! dit le Chinois, ces peuples-là sont donc les maîtres des trois quarts de la terre au moins ?

— Ils se flattent bien qu’ils le seront un jour, lui répondit-on ; mais en attendant ce sont eux qui ont l’honneur d’être ici marchands fripiers, et de rogner quelquefois les espèces.

— Vous vous moquez, dit le Chinois ; ces gens-là ont-ils jamais eu un vaste empire ?

— Ils ont possédé, lui dis-je, en propre, pendant quelques années, un petit pays ; mais ce n’est point par l’étendue des États qu’il faut juger d’un peuple, de même que ce n’est point par les richesses qu’il faut juger d’un homme.

— Mais ne parle-t-on pas de quelque autre peuple dans ce livre ? demanda le lettré.

— Sans doute, dit le savant qui était auprès de moi, et qui prenait toujours la parole ; on y parle beaucoup d’un petit pays de soixante lieues de large, nommé l’Égypte, où l’on prétend qu’il y avait un lac de cent cinquante lieues de tour, fait de main d’homme.