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GENS DE LETTRES.

ne pourrait convenir à un amant dans une comédie, parce que cette belle expression figurée dans l’Orient désert est d’un genre trop relevé pour la simplicité des brodequins. Nous avons remarqué déjà ci, au mot Esprit[1], qu’un auteur qui a écrit sur la physique, et qui prétend qu’il y a eu un Hercule physicien, ajoute « qu’on ne pouvait résister à un philosophe de cette force ». Un autre, qui vient d’écrire un petit livre (lequel il suppose être physique et moral) contre l’utilité de l’inoculation, dit que « si on mettait en usage la petite vérole artificielle, la Mort serait bien attrapée ».

Ce défaut vient d’une affectation ridicule. Il en est un autre qui n’est que l’effet de la négligence, c’est de mêler au style simple et noble qu’exige l’histoire, ces termes populaires, ces expressions triviales, que la bienséance réprouve. On trouve trop souvent dans Mézerai, et même dans Daniel, qui, ayant écrit longtemps après lui, devrait être plus correct, « qu’un général sur ces entrefaites se mit aux trousses de l’ennemi ; qu’il suivit sa pointe, qu’il le battit à plate couture ». On ne voit point de pareille bassesse de style dans Tite-Live, dans Tacite, dans Guichardin, dans Clarendon.

Remarquons ici qu’un auteur qui s’est fait un genre de style peut rarement le changer quand il change d’objet. La Fontaine dans ses opéras emploie le même genre qui lui est si naturel dans ses contes et dans ses fables. Benserade mit dans sa traduction des Métamorphoses d’Ovide le genre de plaisanterie qui l’avait fait réussir dans des madrigaux. La perfection consisterait à savoir assortir toujours son style à la matière qu’on traite ; mais qui peut être le maître de son habitude, et ployer son génie à son gré[2] ?


GENS DE LETTRES[3].

Ce mot répond précisément à celui de grammairien. Chez les Grecs et les Romains, on entendait par grammairien, non-seulement un homme versé dans la grammaire proprement dite, qui est la base de toutes les connaissances, mais un homme qui n’était pas étranger dans la géométrie, dans la philosophie, dans l’histoire générale et particulière, qui surtout faisait son étude de la poésie et de l’éloquence ; c’est ce que sont nos gens de lettres d’aujour-

  1. Page 12.
  2. Voyez l’article Style.
  3. Encyclopédie, tome VII, 1737. (B.)