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FONTE.

parée. Si malheureusement elle rencontre des bulles d’air ou de l’humidité, tout est détruit avec fracas, et il faut recommencer plusieurs fois.

19º Ce fleuve de feu, qui est descendu au creux de la fosse, remonte par les jets et par les fournisseurs, entre dans le moule, et en remplit les creux. Ces jets, ces fournisseurs et les évents, ne sont plus que des tuyaux formés par ces quarante ou cinquante couches de l’eau grasse, et de cette pâte dont on les a longtemps enduits avec beaucoup d’art et de patience, et c’est par ces branches que le métal liquéfié et ardent vient se loger dans la statue.

20° Quand le métal est bien refroidi, on retire le tout. Ce n’est qu’une masse assez informe dont il faut enlever toutes les aspérités, et qu’on répare avec divers instruments.

J’omets beaucoup d’autres préparations que messieurs les encyclopédistes, et surtout M. Diderot, ont expliquées bien mieux que je ne pourrais faire, dans leur ouvrage qui doit éterniser tous les arts avec leur gloire. Mais pour avoir une idée nette des procédés de cet art, il faut voir opérer. Il en est ainsi dans tous les arts, depuis le bonnetier jusqu’au diamantaire. Jamais personne n’apprit dans un livre ni à faire des bas au métier, ni à brillanter des diamants[1], ni à faire des tapisseries de haute-lice. Les arts et métiers ne s’apprennent que par l’exemple et le travail.

Ayant eu le dessein de faire élever une petite statue équestre du roi, en bronze, dans une ville qu’on bâtit à une extrémité du royaume, je demandai, il n’y a pas longtemps, au Phidias de la France, à M. Pigalle, combien il faudrait de temps pour faire seulement le cheval de trois pieds de haut ; il me répondit par écrit : « Je demande six mois au moins, » J’ai sa déclaration datée du 3 juin 1770[2].

  1. L’édition dont j’ai parlé (note 3 de la page 161), et qui fait partie de la brochure de cinquante-six pages, ne contient pas les mots ni à brillanter des diamants. (B.)
  2. Il ne s’agissait point d’une statue équestre du roi à élever à Ferney, mais du veau d’or d’Aaron, auquel Voltaire fait allusion dans tout cet article. Le sculpteur Pigalle, chargé de faire la statue du patriarche, était allé à Ferney pour modeler son sujet, et ce fut là qu’on lui posa cette question sur la fonte. Voici comment : « Le patriarche, dit Grimm, lui accordait bien chaque soir une séance.... ; mais la plupart du temps il avait son secrétaire à côté de lui pour dicter des lettres pendant qu’on le modelait, et, suivant un tic qui lui est familier en dictant des lettres, il soufflait des pois ou faisait d’autres grimaces mortelles pour le statuaire... Enfin, le dernier jour, la conversation se mit, pour le bonheur de l’entreprise, sur le veau d’or d’Aaron ; le patriarche fut si content que Pigalle lui demandât au moins six mois pour mettre une pareille machine en fonte, que l’artiste fit de lui, le reste de la séance, tout ce qu’il voulut et parvint heureusement à faire son modèle comme il aurait désiré. » (G. A.)