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FOI.

Mais si le bonze exige de lui qu’il croie une chose contradictoire, impossible, que deux et deux font cinq, que le même corps peut être en mille endroits différents, qu’être et n’être pas c’est précisément la même chose : alors, si l’Indien dit qu’il a la foi, il a menti ; et s’il jure qu’il croit, il fait un parjure.

Il dit donc au bonze : « Mon révérend père, je ne peux vous assurer que je crois ces absurdités-là, quand elles vous vaudraient dix mille roupies de rente au lieu de cinq cents.

— Mon fils, répond le bonze, donnez vingt roupies, et Dieu vous fera la grâce de croire tout ce que vous ne croyez point.

— Comment voulez-vous, répond l’Indien, que Dieu opère sur moi ce qu’il ne peut opérer sur lui-même ? Il est impossible que Dieu fasse ou croie les contradictoires. Je veux bien vous dire, pour vous faire plaisir, que je crois ce qui est obscur ; mais je ne peux vous dire que je crois l’impossible. Dieu veut que nous soyons vertueux, et non pas que nous soyons absurdes. Je vous ai donné dix roupies, en voilà encore vingt ; croyez à trente roupies, soyez homme de bien si vous pouvez, et ne me rompez plus la tête[1]. »

Il n’en est pas ainsi des chrétiens : la foi qu’ils ont pour des choses qu’ils n’entendent pas est fondée sur ce qu’ils entendent ; ils ont des motifs de crédibilité. Jésus-Christ a fait des miracles dans la Galilée : donc nous devons croire tout ce qu’il a dit. Pour savoir ce qu’il a dit, il faut consulter l’Église. L’Église a prononcé que les livres qui nous annoncent Jésus-Christ sont authentiques : il faut donc croire ces livres. Ces livres nous disent que qui n’écoute pas l’Église doit être regardé comme un publicain ou comme un païen : donc nous devons écouter l’Église pour n’être pas honnis comme des fermiers généraux ; donc nous devons lui soumettre notre raison, non par crédulité enfantine ou aveugle, mais par une croyance docile que la raison même autorise. Telle est la foi chrétienne, et surtout la foi romaine, qui est la foi par excellence[2]. La foi luthérienne, calviniste, anglicane, est une méchante foi.


SECTION II


La foi divine, sur laquelle on a tant écrit, n’est évidemment qu’une incrédulité soumise : car il n’y a certainement en nous que la faculté de l’entendement qui puisse croire, et les objets de

  1. Fin de l’article en 1765. (B.)
  2. Fin de l’article en 1771. La dernière phrase est de 1774. (B.)