Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome19.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
FIN DU MONDE.

consumée, plus d’aliment pour la terre ; l’air ne pourra plus se former, puisque c’est de l’eau qu’il reçoit son être : ainsi le feu restera seul. Ce feu étant Dieu, et ranimant tout, renouvellera le monde, et lui rendra sa première beauté. »

Cette physique des stoïciens est, comme toutes les anciennes physiques, assez absurde ; mais elle prouve que l’attente d’un embrasement général était universelle.

Étonnez-vous encore davantage : le grand Newton pense comme Cicéron. Trompé par une fausse expérience de Boyle[1], il croit que l’humidité du globe se dessèche à la longue, et qu’il faudra que Dieu lui prête une main réformatrice, manum emendatricem. Voilà donc les deux plus grands hommes de l’ancienne Rome et de l’Angleterre moderne qui pensent qu’un jour le feu l’emportera sur l’eau.

Cette idée d’un monde qui devait périr et se renouveler était enracinée dans les cœurs des peuples de l’Asie Mineure, de la Syrie, de l’Égypte, depuis les guerres civiles des successeurs d’Alexandre. Celles des Romains augmentèrent la terreur des nations qui en étaient les victimes. Elles attendaient la destruction de la terre, et on espérait une nouvelle terre dont on ne jouirait pas. Les Juifs, enclavés dans la Syrie, et d’ailleurs répandus partout, furent saisis de la crainte commune.

Aussi il ne paraît pas que les Juifs fussent étonnés quand Jésus leur disait, selon saint Matthieu et saint Luc[2] : Le ciel et la terre passeront. Il leur disait souvent : Le règne de Dieu approche. Il prêchait l’Évangile du règne.

Saint Pierre annonce[3] que l’Évangile a été prêché aux morts, et que la fin du monde approche. Nous attendons, dit-il, de nouveaux cieux et une nouvelle terre.

Saint Jean, dans sa première Épître, dit[4] : « Il y a dès à présent plusieurs antechrists, ce qui nous fait connaître que la dernière heure approche. »

Saint Luc prédit dans un bien plus grand détail la fin du monde et le jugement dernier. Voici ses paroles[5] :

« Il y aura des signes dans la lune et dans les étoiles, des bruits de la mer et des flots ; les hommes, séchant de crainte, attendront ce qui doit arriver à l’univers entier. Les vertus des

  1. Question à la fin de son Optique. (Note de Voltaire.)
  2. Matthieu, chapitre xxiv ; Luc, chapitre xvi. (Id.)
  3. I, Épitre de saint Pierre, chapitre iv. (Id.)
  4. Jean, chapitre ii, v. 18. (Id.)
  5. Luc, chapitre xxi. (Id.)