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FÊTES.

ferai mettre à l’amende. » Il n’y manqua pas. Le pauvre gentilhomme fut ruiné ; il quitta le pays avec sa famille et ses valets, passa chez l’étranger, se fit luthérien, et sa terre resta inculte plusieurs années.

On conta cette aventure à un magistrat de bon sens et de beaucoup de piété. Voici les réflexions qu’il fit à propos de sainte Ragonde.

« Ce sont, disait-il, les cabaretiers sans doute qui ont inventé ce prodigieux nombre de fêtes : la religion des paysans et des artisans consiste à s’enivrer le jour d’un saint qu’ils ne connaissent que par ce culte : c’est dans ces jours d’oisiveté et de débauche que se commettent tous les crimes : ce sont les fêtes qui remplissent les prisons, et qui font vivre les archers, les greffiers, les lieutenants criminels, et les bourreaux ; voilà parmi nous la seule excuse des fêtes : les champs catholiques restent à peine cultivés, tandis que les campagnes hérétiques, labourées tous les jours, produisent de riches moissons.

« À la bonne heure, que les cordonniers aillent le matin à la messe de saint Crépin, parce que crepido signifie empeigne ; que les faiseurs de vergettes fêtent sainte Barbe, leur patronne ; que ceux qui ont mal aux yeux entendent la messe de sainte Claire ; qu’on célèbre saint V.. dans plusieurs provinces ; mais qu’après avoir rendu ses devoirs aux saints on rende service aux hommes, qu’on aille de l’autel à la charrue : c’est l’excès d’une barbarie et d’un esclavage insupportable de consacrer ses jours à la nonchalance et au vice. Prêtres, commandez, s’il est nécessaire, qu’on prie Roch, Eustache et Fiacre le matin ; magistrats, ordonnez qu’on laboure vos champs le jour de Fiacre, d’Eustache et de Roch. C’est le travail qui est nécessaire ; il y a plus, c’est lui qui sanctifie. »


SECTION II[1].


Lettre d’un ouvrier de Lyon à messeigneurs de la commission établie à Paris pour la réformation des ordres religieux, imprimée dans les papiers publics en 1766.


Messeigneurs,

Je suis ouvrier en soie, et je travaille à Lyon depuis dix-neuf ans. Mes journées ont augmenté insensiblement, et aujourd’hui

  1. Première section dans la sixième partie des Questions sur l’Encyclopédie, 1771. (B.)