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FERTILISATION.

dégoût. Cet article seul coûte au moins à la France six millions par an. Le déjeuner de leurs pères n’était pas préparé par les quatre parties du monde ; ils se passaient de l’herbe et de la terre de la Chine, des roseaux qui croissent en Amérique, et des fèves de l’Arabie. Ces nouvelles denrées, et beaucoup d’autres, que nous payons argent comptant, peuvent nous épuiser. Une compagnie de négociants qui n’a jamais pu en quarante années donner un sou de dividende à ses actionnaires sur le produit de son commerce, et qui ne les paye que d’une partie du revenu du roi, peut être à charge à la longue. L’agriculture est donc la ressource indispensable.

13° Plusieurs branches de cette ressource sont négligées. Il y a, par exemple, trop peu de ruches, tandis qu’on fait une prodigieuse consommation de bougies. Il n’y a point de maison un peu forte où l’on n’en brûle pour deux ou trois écus par jour. Cette seule dépense entretiendrait une famille économe. Nous consommons cinq ou six fois plus de bois de chauffage que nos pères ; nous devons donc avoir plus d’attention à planter et à entretenir nos plants : c’est ce que le fermier n’est pas même en droit de faire ; c’est ce que le seigneur ne fera que lorsqu’il gouvernera lui-même ses possessions.

14° Lorsque les possesseurs des terres sur les frontières y résident, les manœuvres, les ouvriers étrangers, viennent s’y établir ; le pays se peuple insensiblement ; il se forme des races d’hommes vigoureux. La plupart des manufactures corrompent la taille des ouvriers ; leur race s’affaiblit. Ceux qui travaillent aux métaux abrégent leurs jours. Les travaux de la campagne, au contraire, fortifient et produisent des générations robustes, pourvu que la débauche des jours de fêtes n’altère pas le bien que font le travail et la sobriété.

15° On sait assez quelles sont les funestes suites de l’oisive intempérance attachée à ces jours qu’on croit consacrés à la religion, et qui ne le sont qu’aux cabarets. On sait quelle supériorité le retranchement de ces jours dangereux a donnée aux protestants sur nous. Notre raison commence enfin à se développer au point de nous faire sentir confusément que l’oisiveté et la débauche ne sont pas si précieuses devant Dieu qu’on le croyait. Plus d’un évêque a rendu à la terre, pendant quarante jours de l’année ou environ, des hommes qu’elle demandait pour la cultiver. Mais sur les frontières, où beaucoup de nos domaines se trouvent dans l’évêché d’un étranger, il arrive trop souvent, soit par contradiction, soit par une infâme politique, que ces étrangers se plaisent