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FEMME.

Les Juifs, par un ancien usage établi selon leurs livres depuis Lamech, ont toujours eu la liberté d’avoir à la fois plusieurs femmes. David en eut dix-huit ; et c’est depuis ce temps que les rabbins déterminèrent à ce nombre la polygamie des rois, quoiqu’il soit dit que Salomon en eut jusqu’à sept cents[1].

Les mahométans n’accordent pas publiquement aujourd’hui aux Juifs la pluralité des femmes : ils ne les croient pas dignes de cet avantage ; mais l’argent, toujours plus fort que la loi, donne quelquefois en Orient et en Afrique, aux Juifs qui sont riches, la permission que la loi leur refuse.

On a rapporté sérieusement que Lélius Cinna, tribun du peuple, publia, après la mort de César, que ce dictateur avait voulu promulguer une loi qui donnait aux femmes le droit de prendre autant de maris qu’elles voudraient. Quel homme sensé ne voit que c’est là un conte populaire et ridicule, inventé pour rendre César odieux ? Il ressemble à cet autre conte, qu’un sénateur romain avait proposé en plein sénat de donner permission à César de coucher avec toutes les femmes qu’il voudrait. De pareilles inepties déshonorent l’histoire, et font tort à l’esprit de ceux qui les croient. Il est triste que Montesquieu ait ajouté foi à cette fable.

Il n’en est pas de même de l’empereur Valentinien Ier, qui, se disant chrétien, épousa Justine du vivant de Severa sa première femme, mère de l’empereur Gratien. Il était assez riche pour entretenir plusieurs femmes.

Dans la première race des rois francs, Gontran, Cherebert, Sigebert, Chilpéric, eurent plusieurs femmes à la fois. Gontran eut dans son palais Venerande, Mercatrude et Ostregile, reconnues pour femmes légitimes. Cherebert eut Meroflède, Marcovèse et Théodogile.

Il est difficile de concevoir comment l’ex-jésuite Nonotte a pu, dans son ignorance, pousser la hardiesse jusqu’à nier ces faits, jusqu’à dire que les rois de cette première race n’usèrent point de la polygamie, et jusqu’à défigurer dans un libelle en deux volumes[2] plus de cent vérités historiques, avec la confiance d’un régent qui dicte des leçons dans un collége. Des livres dans ce goût ne laissent pas de se vendre quelque temps dans les pro-

  1. Selon les rabbins il était loisible à un Hébreu d’épouser jusqu’à quatre femmes. C’est justement le nombre permis dans les lois de Manou et dans le Koran. (G. A.)
  2. Erreurs de M. de Voltaire.