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CONTRADICTIONS.

France est la première personne de l’État : il ne peut manger avec le roi, du moins jusqu’à présent, et un colonel à peine gentilhomme a cet honneur. Une intendante est reine en province, et bourgeoise à la cour.

On cuit en place publique ceux qui sont convaincus du péché de non-conformité, et on explique gravement dans tous les colléges la seconde églogue de Virgile, avec la déclaration d’amour de Corydon au bel Alexis : « Formosum pastor Corydon ardebat Alexin ; » et on fait remarquer aux enfants que, quoique Alexis soit blond et qu’Amyntas soit brun, cependant Amyntas pourrait bien avoir la préférence.

Si un pauvre philosophe, qui ne pense point à mal, s’avise de vouloir faire tourner la terre ou d’imaginer que la lumière vient du soleil, ou de supposer que la matière pourrait bien avoir quelques autres propriétés que celles que nous connaissons, on crie à l’impie, au perturbateur du repos public ; et on traduit[1] ad usum Delphini, les Tusculanes de Cicéron et Lucrèce, qui sont deux cours complets d’irréligion.

Les tribunaux ne croient plus aux possédés, on se moque des sorciers ; mais on a brûlé Gaufridi et Grandier pour sortilége ; et en dernier lieu la moitié d’un parlement voulait condamner au feu un religieux accusé d’avoir ensorcelé une fille de dix-huit ans en soufflant sur elle[2].

Le sceptique philosophe Bayle a été persécuté même en Hollande. La Mothe Le Vayer, plus sceptique et moins philosophe, a été précepteur du roi Louis XIV et du frère du roi. Gourville était à la fois pendu en effigie à Paris, et ministre de France en Allemagne.

Le fameux athée Spinosa vécut et mourut tranquille. Vanini, qui n’avait écrit que contre Aristote, fut brûlé comme athée : il a l’honneur, en cette qualité, de remplir un article dans les histoires des gens de lettres et dans tous les dictionnaires, immenses archives de mensonges et d’un peu de vérité : ouvrez ces livres, vous y verrez que non-seulement Vanini enseignait publiquement l’athéisme dans ses écrits, mais encore que douze professeurs de sa secte étaient partis de Naples avec lui dans le dessein de faire partout des prosélytes ; ouvrez ensuite les livres de

  1. Les éditions ad usum Delphini ont des commentaires latins, et point de traductions. (B.)
  2. C’est le procès du P. Girard et de La Cadière. Rien n’a tant déshonoré l’humanité. (Note de Voltaire.)