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DE LA CHINE.

neurs des provinces, tous les colaos, présentèrent contre eux des mémoires. Les accusations furent portées si loin qu’on mit aux fers les trois princes disciples des jésuites.

Il est évident que ce n’était pas pour avoir été baptisés qu’on les traita si durement, puisque les jésuites eux-mêmes avouent dans leurs lettres que pour eux ils n’essuyèrent aucune violence, et que même ils furent admis à une audience de l’empereur, qui les honora de quelques présents. Il est donc prouvé que l’empereur Yong-tching n’était nullement persécuteur ; et si les princes furent renfermés dans une prison vers la Tartarie, tandis qu’on traitait si bien leurs convertisseurs, c’est une preuve indubitable qu’ils étaient prisonniers d’État, et non pas martyrs.

L’empereur céda bientôt après aux cris de la Chine entière ; on demandait le renvoi des jésuites, comme depuis en France et dans d’autres pays on a demandé leur abolition. Tous les tribunaux de la Chine voulaient qu’on les fît partir sur-le-champ pour Macao, qui est regardé comme une place séparée de l’empire, et dont on a laissé toujours la possession aux Portugais avec garnison chinoise.

Yong-tching eut la bonté de consulter les tribunaux et les gouverneurs, pour savoir s’il y aurait quelque danger à faire conduire tous les jésuites dans la province de Kanton. En attendant la réponse il fit venir trois jésuites en sa présence, et leur dit ces propres paroles, que le P. Parennin rapporte avec beaucoup de bonne foi : « Vos Européans dans la province de Fo-Kien voulaient anéantir nos lois[1], et troublaient nos peuples ; les tribunaux me les ont déférés ; j’ai dû pourvoir à ces désordres ; il y va de l’intérêt de l’empire... Que diriez-vous si j’envoyais dans votre pays une troupe de bonzes et de lamas prêcher leur loi? comment les recevriez-vous ?... Si vous avez su tromper mon père, n’espérez pas me tromper de même... Vous voulez que les Chinois se fassent chrétiens, votre loi le demande, je le sais bien ; mais alors que deviendrions-nous ? les sujets de vos rois. Les chrétiens ne croient que vous ; dans un temps de trouble ils n’écouteraient d’autre voix que la vôtre. Je sais bien qu’actuellement il n’y a rien à craindre ; mais quand les vaisseaux viendront par mille et dix mille, alors il pourrait y avoir du désordre.

« La Chine au nord touche le royaume des Russes, qui n’est pas méprisable ; elle a au sud les Européans et leurs royaumes,

  1. Le pape y avait déjà nommé un évêque. (Note de Voltaire.)