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DE LA CHINE.

des peuples avant qu’il y ait des rois. Convenez qu’il faut un temps prodigieux avant qu’un peuple nombreux, ayant inventé les arts nécessaires, se soit réuni pour se choisir un maître. Si vous n’en convenez pas, il ne nous importe. Nous croirons toujours sans vous que deux et deux font quatre.

Dans une province d’Occident, nommée autrefois la Celtique[1], on a poussé le goût de la singularité et du paradoxe jusqu’à dire que les Chinois n’étaient qu’une colonie d’Égypte, ou bien, si l’on veut, de Phénicie. On a cru prouver, comme on prouve tant d’autres choses, qu’un roi d’Égypte, appelé Ménès par les Grecs, était le roi de la Chine Yu, et qu’Atoès était Ki, en changeant seulement quelques lettres ; et voici de plus comme on a raisonné.

Les Égyptiens allumaient des flambeaux quelquefois pendant la nuit ; les Chinois allument des lanternes : donc les Chinois sont évidemment une colonie d’Égypte. Le jésuite Parennin, qui avait déjà vécu vingt-cinq ans à la Chine, et qui possédait également la langue et les sciences des Chinois, a réfuté toutes ces imaginations avec autant de politesse que de mépris. Tous les missionnaires, tous les Chinois à qui l’on conta qu’au bout de l’Occident on faisait la réforme de l’empire de la Chine, ne firent qu’en rire. Le P. Parennin répondit un peu plus sérieusement. Vos Égyptiens, disait-il, passèrent apparemment par l’Inde pour aller peupler la Chine. L’Inde alors était-elle peuplée ou non ? si elle l’était, aurait-elle laissé passer une armée étrangère ? si elle ne l’était pas, les Égyptiens ne seraient-ils pas restés dans l’Inde ? auraient-ils pénétré par des déserts et des montagnes impraticables jusqu’à la Chine, pour y aller fonder des colonies, tandis qu’ils pouvaient si aisément en établir sur les rivages fertiles de l’Inde et du Gange ?

Les compilateurs d’une histoire universelle, imprimée en Angleterre, ont voulu aussi dépouiller les Chinois de leur antiquité, parce que les jésuites étaient les premiers qui avaient bien fait connaître la Chine. C’est là sans doute une bonne raison pour dire à toute une nation : Vous en avez menti.

Il y a, ce me semble, une réflexion bien importante à faire sur les témoignages que Confutzée, nommé parmi nous Confucius, rend à l’antiquité de sa nation : c’est que Confutzée n’avait nul intérêt de mentir ; il ne faisait point le prophète ; il ne se disait point inspiré ; il n’enseignait point une religion nouvelle ; il ne recourait point aux prestiges ; il ne flatte point l’empereur sous lequel il vivait, il n’en parle seulement pas. C’est enfin le seul

  1. La France.