Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
CÉRÉMONIES.

autant aux avocats et aux procureurs. On a connu un président qui ne voulut pas se faire saigner, parce que son chirurgien lui avait dit : « Monsieur, de quel bras voulez-vous que je vous saigne ? » Il y eut un vieux conseiller de la grand’chambre qui en usa plus franchement. Un plaideur lui dit : Monseigneur, monsieur votre secrétaire... Le conseiller l’arrêta tout court : « Vous avez dit trois sottises en trois paroles : je ne suis point monseigneur, mon secrétaire n’est point monsieur, c’est mon clerc. »

Pour terminer ce grand procès de la vanité, il faudra un jour que tout le monde soit monseigneur dans la nation ; comme toutes les femmes, qui étaient autrefois mademoiselle, sont actuellement madame. Lorsqu’en Espagne un mendiant rencontre un autre gueux, il lui dit : « Seigneur, votre courtoisie a-t-elle pris son chocolat ? » Cette manière polie de s’exprimer élève l’âme et conserve la dignité de l’espèce.

[1] César et Pompée s’appelaient dans le sénat César et Pompée ; mais ces gens-là ne savaient pas vivre. Ils finissaient leurs lettres par vale, adieu. Nous étions, nous autres, il y a soixante ans, affectionnés serviteurs ; nous sommes devenus très-humbles et très-obéissants ; et actuellement nous avons l’honneur de l’être. Je plains notre postérité : elle ne pourra que difficilement ajouter à ces belles formules.

[2] Le duc d’Épernon, le premier des Gascons pour la fierté, mais qui n’était pas le premier des hommes d’État, écrivit avant de mourir au cardinal de Richelieu, et finit sa lettre par votre très-humble et très-obéissant ; mais se souvenant que le cardinal ne lui avait donné que du très-affectionné, il fit partir un exprès pour rattraper sa lettre, qui était déjà partie, la recommença, signa très-affectionné, et mourut ainsi au lit d’honneur.

[3] Nous avons dit ailleurs une grande partie de ces choses. Il est bon de les inculper pour corriger au moins quelques coqs d’Inde qui passent leur vie à faire la roue.

  1. Cet alinéa existait en 1750 ; il avait été conservé en 1756 ; mais il ne fut pas reproduit en 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  2. Cet alinéa, ajouté en 1756, n’avait pas été admis dans les Questions sur l’Encyclopédie. Il a été recueilli, ainsi que le précédent, par les éditeurs de Kehl. (B.)
  3. Voltaire ajouta cet alinéa en 1770, dans les Questions sur l’Encyclopédie. On a vu qu’en effet une grande partie des choses qu’il y dit étaient déjà ailleurs. (B.)