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ABUS.

c’était un homme qui passait pour un vaste génie, et qui fut depuis pape, sous le nom de Clément VI. Il protesta d’abord qu’il ne parlait point pour être jugé, mais pour juger ses adversaires, et pour instruire le roi de son devoir.

Il dit que Jésus-Christ, étant Dieu et homme, avait eu le pouvoir temporel et spirituel ; et que par conséquent les ministres de l’Église, qui lui avaient succédé, étaient les juges-nés de tous les hommes sans exception. Voici comme il s’exprima :

Sers Dieu dévotement,
Baille-lui largement,
Révère sa gent dûment,
Rends-lui le sien entièrement.

Ces rimes firent un très bel effet. (Voyez Libellus Bertrandi cardinalis, tome I des Libertés de l’Église gallicane.)

Pierre Bertrandi, évêque d’Autun, entra dans de plus grands détails. Il assura que l’excommunication n’étant jamais lancée que pour un péché mortel, le coupable devait faire pénitence, et que la meilleure pénitence était de donner de l’argent à l’Église. Il représenta que les juges ecclésiastiques étaient plus capables que les juges royaux ou seigneuriaux de rendre justice, parce qu’ils avaient étudié les décrétales, que les autres ignoraient.

Mais on pouvait lui répondre qu’il fallait obliger les baillis et les prévôts du royaume à lire les décrétales pour ne jamais les suivre.

Cette grande assemblée ne servit à rien ; le roi croyait avoir besoin alors de ménager le pape, né dans son royaume, siégeant dans Avignon, et ennemi mortel de l’empereur Louis de Bavière. La politique, dans tous les temps, conserva les abus dont se plaignait la justice. Il resta seulement dans le parlement une mémoire ineffaçable du discours de Pierre Cugnières. Ce tribunal s’affermit dans l’usage où il était déjà de s’opposer aux prétentions cléricales ; on appela toujours des sentences des officiaux au parlement, et peu à peu cette procédure fut appelée appel comme d’abus.

Enfin tous les parlements du royaume se sont accordés à laisser à l’Église sa discipline, et à juger tous les hommes indistinctement suivant les lois de l’État, en conservant les formalités prescrites par les ordonnances[1].

  1. L’appel comme d’abus disparut naturellement à la Révolution. Mais Napoléon ayant restauré le culte catholique, il fallut de nouveau constater l’abus et régler l’appel. Ce fut l’objet de la loi du 18 germinal an X. On a vu de nos jours le gouvernement se servir de cette vieille arme gallicane contre l’évêque de Moulins. (G. A.)