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BIENS D’ÉGLISE.

Trithème dans une de ses harangues, en présence d’une convocation d’abbés bénédictins :

Neglecto superum cultu, spretoque tonantis
Imperio, Baccho indulgent Venerique nefandai, etc.

En voici une traduction, ou plutôt une imitation faite par une bonne âme, quelque temps après Jean Trithème :

Ils se moquent du ciel et de la Providence ;
Ils aiment mieux Bacchus et la mère d’Amour ;
Ce sont leurs deux grands saints pour la nuit et le jour.
Des pauvres à prix d’or ils vendent la substance.
Ils s’abreuvent dans l’or ; l’or est sur leurs lambris ;
L’or est sur leurs catins, qu’on paye au plus haut prix ;
Et, passant mollement de leur lit à la table,
Ils ne craignent ni lois, ni rois, ni dieu, ni diable.

Jean Trithème, comme on voit, était de très-méchante humeur. On eût pu lui répondre ce que disait César avant les ides de mars : « Ce ne sont pas ces voluptueux que je crains, ce sont ces raisonneurs maigres et pâles. » Les moines qui chantent le Pervigilium Veneris pour matines ne sont pas dangereux : les moines argumentants, prêchants, cabalants, ont fait beaucoup plus de mal que tous ceux dont parle Jean Trithème.

Les moines ont été aussi maltraités par l’évéque célèbre de Belley qu’ils l’avaient été par l’abbé Trithème. Il leur applique, dans son Apocalypse de Méliton, ces paroles d’Osée : « Vaches grasses qui frustrez les pauvres, qui dites sans cesse : Apportez et nous boirons, le Seigneur a juré, par son saint nom, que voici les jours qui viendront sur vous ; vous aurez agacement de dents, et disette de pain en toutes vos maisons. »

La prédiction ne s’est pas accomplie ; mais l’esprit de police qui s’est répandu dans toute l’Europe, en mettant des bornes à la cupidité des moines, leur a inspiré plus de décence.

Il faut convenir, malgré tout ce qu’on a écrit contre leurs abus, qu’il y a toujours eu parmi eux des hommes éminents en science et en vertu ; que s’ils ont fait de grands maux, ils ont rendu de grands services, et qu’en général on doit les plaindre encore plus que les condamner.