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BIEN, TOUT EST BIEN.

nous, après les avoir lus tous deux plus d’une fois, nous avouons notre ignorance, selon notre coutume ; et puisque l’Évangile ne nous a rien révélé sur cette question, nous demeurons sans remords dans nos ténèbres.

Leibnitz, qui parle de tout, a parlé du péché originel aussi ; et comme tout homme à système fait entrer dans son plan tout ce qui peut le contredire, il imagina que la désobéissance envers Dieu, et les malheurs épouvantables qui l’ont suivie, étaient des parties intégrantes du meilleur des mondes, des ingrédients nécessaires de toute la félicité possible, « Calla, calla, señor don Carlos : todo che se haze es por su ben[1]. »

Quoi ! être chassé d’un lieu de délices, où l’on aurait vécu à jamais si on n’avait pas mangé une pomme ! Quoi ! faire dans la misère des enfants misérables et criminels, qui souffriront tout, qui feront tout souffrir aux autres ! Quoi ! éprouver toutes les maladies, sentir tous les chagrins, mourir dans la douleur, et pour rafraîchissement être brûlé dans l’éternité des siècles ! ce partage est-il bien ce qu’il y avait de meilleur ? Cela n’est pas trop bon pour nous ; et en quoi cela peut-il être bon pour Dieu ?

Leibnitz sentait qu’il n’y avait rien à répondre : aussi fit-il de gros livres dans lesquels il ne s’entendait pas.

Nier qu’il y ait du mal, cela peut être dit en riant par un Lucullus qui se porte bien, et qui fait un bon dîner avec ses amis et sa maîtresse dans le salon d’Apollon ; mais qu’il mette la tête à la fenêtre, il verra des malheureux ; qu’il ait la fièvre, il le sera lui-même.

Je n’aime point à citer ; c’est d’ordinaire une besogne épineuse : on néglige ce qui précède et ce qui suit l’endroit qu’on cite, et on s’expose à mille querelles. Il faut pourtant que je cite Lactance, Père de l’Église, qui dans son chapitre xiii, De la colère de Dieu, fait parler ainsi Épicure : « Ou Dieu veut ôter le mal de ce monde, et ne le peut ; ou il le peut, et ne le veut pas ; ou il ne le peut, ni ne le veut ; ou enfin il le veut, et le peut. S’il le veut, et ne le peut pas, c’est impuissance, ce qui est contraire à la nature de Dieu ; s’il le peut, et ne le veut pas, c’est méchanceté, et cela est non moins contraire à sa nature ; s’il ne le veut ni ne le peut, c’est à la fois méchanceté et impuissance ; s’il le veut et le peut (ce qui seul de ces partis convient à Dieu), d’où vient donc le mal sur la terre ? »

L’argument est pressant ; aussi Lactance y répond fort mal,

  1. Du calme, seigneur don Carlos ; tout ce qui se fait est pour votre bien.