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BANQUE.

que les particuliers déposent pour leur seule sûreté, sans en tirer de profit, comme on fit à Amsterdam en 1609, et à Rotterdam en 1636 ; ou c’est une compagnie autorisée qui reçoit l’argent des particuliers pour l’employer à son avantage, et qui paye aux déposants un intérêt : c’est ce qui se pratique en Angleterre, où la banque autorisée par le parlement donne 4 pour 100 aux propriétaires.

En France, on voulut établir une banque de l’État sur ce modèle en 1717[1]. L’objet était de payer avec les billets de cette banque toutes les dépenses courantes de l’État, de recevoir les impositions en même payement et d’acquitter tous les billets, de donner sans aucun décompte tout l’argent qui serait tiré sur la banque, soit par les régnicoles, soit par l’étranger, et par là de lui assurer le plus grand crédit. Cette opération doublait réellement les espèces en ne fabriquant de billets de banque qu’autant qu’il y avait d’argent courant dans le royaume, et les triplait si, en faisant deux fois autant de billets qu’il y avait de monnaie, on avait soin de faire les payements à point nommé : car la caisse ayant pris faveur, chacun y eût laissé son argent, et non-seulement on eût porté le crédit au triple, mais on l’eût poussé encore plus loin, comme en Angleterre. Plusieurs gens de finance, plusieurs gros banquiers, jaloux du sieur Law, inventeur de cette banque, voulurent l’anéantir dans sa naissance ; ils s’unirent avec des négociants hollandais, et tirèrent sur elle tout son fonds en huit jours. Le gouvernement, au lieu de fournir de nouveaux fonds pour les payements, ce qui était le seul moyen de soutenir la banque, imagina de punir la mauvaise volonté de ses ennemis, en portant par un édit la monnaie un tiers au delà de sa valeur ; de sorte que quand les agents hollandais vinrent pour recevoir les derniers payements, on ne leur paya en argent que les deux tiers réels de leurs lettres de change[2]. Mais ils n’avaient plus que peu de chose à retirer ; leurs grands coups avaient été frappés ; la banque était épuisée ; ce haussement de la valeur numéraire des espèces acheva de la décrier. Ce fut la première époque du bouleversement du fameux système de Law. Depuis ce temps, il n’y eut plus en France de banque publique ; et ce qui n’était pas arrivé à la Suède, à Venise, à l’Angleterre, à la Hollande, dans

  1. Voyez Siècle de Louis XV, chapitre ii.
  2. Ce ne fut pas Law qui provoqua cet édit, mais d’Argenson, qui dirigeait alors les finances. Ses ennemis eux-mêmes se sont plu à l’imputer à Law ; et celui qui se trouvait à leur tête, Paris-Duverney, avait été le protecteur de Voltaire. De là l’erreur de celui-ci. (G. A.)