Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
ABRAHAM.

homme considérable. Les Persans, les Chaldéens, le revendiquaient. L’ancienne religion des mages s’appelait de temps immémorial Kish-Ibrahim, Milat-Ibrahim : et l’on convient que le mot Ibrahim est précisément celui d’Abraham, rien n’étant plus ordinaire aux Asiatiques, qui écrivaient rarement les voyelles, que de changer l’i en a, et l’a en i, dans la prononciation.

On a prétendu même qu’Abraham était le Brama des Indiens, dont la notion était parvenue aux peuples de l’Euphrate, qui commerçaient de temps immémorial dans l’Inde.

Les Arabes le regardaient comme le fondateur de la Mecque. Mahomet dans son Koran voit toujours en lui le plus respectable de ses prédécesseurs. Voici comme il en parle au troisième sura, ou chapitre : « Abraham n’était ni juif ni chrétien ; il était un musulman orthodoxe ; il n’était point du nombre de ceux qui donnent des compagnons à Dieu. »

La témérité de l’esprit humain a été poussée jusqu’à imaginer que les Juifs ne se dirent descendants d’Abraham que dans des temps très postérieurs, lorsqu’ils eurent enfin un établissement fixe dans la Palestine. Ils étaient étrangers, haïs et méprisés de leurs voisins. Ils voulurent, dit-on, se donner quelque relief en se faisant passer pour les descendants d’Abraham, révéré dans une grande partie de l’Asie, La foi que nous devons aux livres sacrés des Juifs tranche toutes ces difficultés.

Des critiques non moins hardis font d’autres objections sur le commerce immédiat qu’Abraham eut avec Dieu, sur ses combats, et sur ses victoires.

Le Seigneur lui apparut après sa sortie d’Égypte, et lui dit : « Jetez les yeux vers l’aquilon, l’orient, le midi, et l’occident ; je vous donne pour toujours à vous et à votre postérité jusqu’à la fin des siècles, in sempiternum, à tout jamais, tout le pays que vous voyez[1]. »

Le Seigneur, par un second serment, lui promit ensuite « tout ce qui est depuis le Nil jusqu’à l’Euphrate[2] ».

Ces critiques demandent comment Dieu a pu promettre ce pays immense, que les Juifs n’ont jamais possédé, et comment Dieu a pu leur donner à tout jamais la petite partie de la Palestine dont ils sont chassés depuis si longtemps.

Le Seigneur ajoute encore à ces promesses que la postérité d’Abraham sera aussi nombreuse que la poussière de la terre. « Si

  1. Genèse, chapitre xiii, v. 14 et 15. (Note de Voltaire.)
  2. Ibid., chapitre xv, v. 18. (Id.)