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BACCHUS.

Sa preuve qu’il est Priape est qu’on peignait quelquefois Priape avec un âne, et que les Juifs passèrent chez les Gentils pour adorer un âne. Il en donne une autre preuve qui n’est pas canonique, c’est que la verge de Moïse pouvait être comparée au sceptre de Priape[1] : Sceptrum tribuitur Priapo, virga Mosi. Ces démonstrations ne sont pas celles d’Euclide.

Nous ne parlerons point ici des Bacchus plus modernes, tel que celui qui précéda de deux cents ans la guerre de Troie, et que les Grecs célébrèrent comme un fils de Jupiter enfermé dans sa cuisse.

Nous nous arrêtons à celui qui passa pour être né sur les confins de l’Égypte, et pour avoir fait tant de prodiges. Notre respect pour les livres sacrés juifs ne nous permet pas de douter que les Égyptiens, les Arabes, et ensuite les Grecs, n’aient voulu imiter l’histoire de Moïse : la difficulté consistera seulement à savoir comment ils auront pu être instruits de cette histoire incontestable.

À l’égard des Égyptiens, il est très-vraisemblable qu’ils n’ont jamais écrit les miracles de Moïse, qui les auraient couverts de honte. S’ils en avaient dit un mot, l’historien Josèphe et Philon n’auraient pas manqué de se prévaloir de ce mot. Josèphe, dans sa réponse à Apion, se fait un devoir de citer tous les auteurs d’Égypte qui ont fait mention de Moïse, et il n’en trouve aucun qui rapporte un seul de ces miracles. Aucun Juif n’a jamais cité un auteur égyptien qui ait dit un mot des dix plaies d’Égypte, du passage miraculeux de la mer Rouge, etc. Ce ne peut donc être chez les Égyptiens qu’on ait trouvé de quoi faire ce parallèle scandaleux du divin Moïse avec le profane Bacchus.

Il est de la plus grande évidence que si un seul auteur égyptien avait dit un mot des grands miracles de Moïse, toute la synagogue d’Alexandrie, toute l’Église disputante de cette fameuse ville, auraient cité ce mot, et en auraient triomphé, chacune à sa manière. Athénagore, Clément, Origène, qui disent tant de choses inutiles, auraient rapporté mille fois ce passage nécessaire : c’eût été le plus fort argument de tous les Pères. Ils ont tous gardé un profond silence ; donc ils n’avaient rien à dire. Mais aussi comment s’est-il pu faire qu’aucun Égyptien n’ait parlé des exploits d’un homme qui fit tuer tous les aînés des familles d’Égypte, qui ensanglanta le Nil, et qui noya dans la mer le roi et toute l’armée, etc., etc., etc. ?

  1. Démonstration évangélique, pages 79, 87 et 110. (Note de Voltaire.)