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BABEL.

cette histoire de la confusion des langues ne se trouve dans aucun livre : cette aventure si mémorable fut aussi inconnue de l’univers entier que les noms de Noé, de Mathusalem, de Caïn, d’Abel, d’Adam, et d’Ève.

Cet embarras afflige notre curiosité. Hérodote, qui avait tant voyagé, ne parle ni de Noé, ni de Sem, ni de Réhu, ni de Salé, ni de Nembrod. Le nom de Nembrod est inconnu à toute l’antiquité profane : il n’y a que quelques Arabes et quelques Persans modernes qui aient fait mention de Nembrod, en falsifiant les livres des Juifs. Il ne nous reste, pour nous conduire dans ces ruines anciennes, que la foi à la Bible, ignorée de toutes les nations de l’univers pendant tant de siècles ; mais heureusement c’est un guide infaillible.

Hérodote, qui a mêlé trop de fables avec quelques vérités, prétend que de son temps, qui était celui de la plus grande puissance des Perses, souverains de Babylone, toutes les citoyennes de cette ville immense étaient obligées d’aller une fois dans leur vie au temple de Mylitta, déesse qu’il croit la même qu’Aphrodite ou Vénus, pour se prostituer aux étrangers ; et que la loi leur ordonnait de recevoir de l’argent, comme un tribut sacré qu’on payait à la déesse.

Ce conte des Mille et une Nuits ressemble à celui qu’Hérodote fait dans la page suivante, que Cyrus partagea le fleuve de l’Inde en trois cent soixante canaux, qui tous ont leur embouchure dans la mer Caspienne. Que diriez-vous de Mézerai, s’il nous avait raconté que Charlemagne partagea le Rhin en trois cent soixante canaux qui tombent dans la Méditerranée, et que toutes les dames de sa cour étaient obligées d’aller une fois en leur vie se présenter à l’église de Sainte-Geneviève, et de se prostituer à tous les passants pour de l’argent ?

Il faut remarquer qu’une telle fable est encore plus absurde dans le siècle des Xerxès, où vivait Hérodote, qu’elle ne le serait dans celui de Charlemagne. Les Orientaux étaient mille fois plus jaloux que les Francs et les Gaulois. Les femmes de tous les grands seigneurs étaient soigneusement gardées par des eunuques. Cet usage subsistait de temps immémorial. On voit même dans l’histoire juive que, lorsque cette petite nation veut, comme les autres, avoir un roi[1], Samuel, pour les en détourner, et pour conserver

  1. Livre I des Rois, chapitre viii, v. 15 ; livre III, chapitre xxii, v. 9 ; livre IV, chapitre viii, v. 6 ; chapitre ix, v. 32 ; chapitre xxiv, v. 12 ; et chapitre xxv, v. 19. (Note de Voltaire.)